Le gouvernement d’entente nationale libyen : entre défis et succès potentiels
Quatre ans après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est toujours plongée dans le chaos. Elle est riche de deux Parlements et de deux gouvernements, rivaux. D’une part, la Chambre des Représentants, reconnue par la communauté internationale, siégeant à Tobrouk, dans l’extrême est du pays. De l’autre, le Congrès Général National (CGN) sous la coupe de la coalition des Forces Aube de la Libye « Fajr Libya », basé à Tripoli. Après des mois de dialogue visant à rapprocher les deux parties, Monsieur Bernardino Léon, émissaire de l’ONU, a proposé jeudi 8 octobre à Skhirat, au Maroc, de former un gouvernement d’entente nationale réunissant les différentes factions en lutte en Libye. M. Léon a également annoncé les noms des candidats qui mèneront ce gouvernement. Fayez Sarraj, qui représente Tripoli à l’Assemblée législative basée à Tobrouk (la Chambre des Représentants), sera à la tête du gouvernement proposé. Il sera assisté par trois vice-premiers ministres représentant l’ouest, l’est et le sud du pays. Cet accord doit maintenant être approuvé par la Chambre des Représentants à Tobrouk et par le CGN à Tripoli. Si cet accord est approuvé, la Chambre des Représentants sera l’organe législatif, et le CGN sera le Conseil d’État, l’organe «consultatif» de l’État. Il comprendra la plupart des membres du CGN. Mais l’accord de paix pour rétablir un gouvernement d’union nationale a été rejeté par les deux camps. Ces derniers ont toutefois affirmé leur désir de poursuivre les négociations au Maroc sous l’égide des Nations unies. Le Congrès national général a annoncé lors d’une conférence que les législateurs ne sont pas prêts à signer l’accord de paix parce qu’ils voulaient de nouvelles modifications ; M. León a refusé de les apporter. En outre l’accord de paix ne prévoit pas de garanties suffisantes pour que la loi islamique soit mise en œuvre. La chambre des Représentants, dont le mandat a expiré le 20 octobre, a refusé de ratifier le plan de paix car les amendements auraient donné au gouvernement d’unité le pouvoir de limoger son chef de l’armée nationale, le général Kalifa Hiftre. Les réactions et les développements continuent à prouver que le gouvernement d’entente proposé sera difficile à vendre à toutes les parties.
Cet accord est considéré comme une étape importante dans le long cheminement pour parvenir à la paix et à la stabilité dans ce pays, mais le plus dur reste à faire. Et d’abord, désarmer et démanteler les milices armées qui sapent grandement tout processus de construction de l’État. L’insécurité, le plus grave des problèmes de la Libye depuis 2011, tient principalement à l’échec des efforts visant à désarmer et à démobiliser les milices rebelles après la guerre. Les gouvernements de transition successifs ont échoué à réformer le secteur de la sécurité et à asseoir leur autorité sur les «milices armées». Malgré l’intégration de certaines milices et en dépit de l’initiative d’une mise en place des programmes et des dispositifs sécuritaires au niveau national, les autorités libyennes successives n’ont pas réussi jusqu’ici à bâtir une véritable force de sécurité et une force armée capables de jouer un rôle central décisif dans le processus de transition. De nombreuses milices, formées pendant ou après la guerre 2011, ont reçu une autorisation d’exercer de la part des différentes entités politiques (Conseil national de transition, Congrès général national, bureau du Premier ministre) et sécuritaires de l’Etat (ministère de l’Intérieur, ministère de la Défense et le Chef d’Etat-major des armées). En revanche, l’impossibilité de désarmer les milices et une faiblesse confondante de l’armée permettent aux milices de faire régner la terreur sur tout le territoire et de bénéficier de chaînes de commandement parallèles servant les intérêts de leur ville ou de leur région.
En outre, la situation chaotique en Libye ne pèse pas uniquement sur la sécurité. Elle a également des effets négatifs sur l’économie du pays. Les revenus pétroliers qui constituent le nerf de l’économie libyenne, ont chuté de 30% à 20 milliards de dinars libyens (14,6 milliards de dollars) en 2014. Ils se situent à un tiers de leurs niveaux de 2010 à cause de la fermeture répétée de plus d’une douzaine de champs pétrolifères cette année. Du fait de l’instabilité de la structure de gouvernance, de la précarité de la gestion des recettes pétrolières et des dissensions croissantes entre le gouvernement et la Banque centrale, le budget 2015 n’a jamais été approuvé. La crise budgétaire s’est aggravée, le paiement des salaires des fonctionnaires a au moins trois mois de retard. Tous les grands projets d’infrastructure qui étaient en cours lorsque la guerre a commencé il y a quatre ans ont été mis en attente et toutes les grandes entreprises étrangères ont quitté le pays, laissant derrière elles des grues de construction rouillées et qui parsèment l’horizon de Tripoli. Par ailleurs, les combats en cours entre les factions belligérantes ont entraîné la fermeture des aéroports et des ports maritimes dans deux grandes villes, Tripoli et Benghazi. Dans de nombreuses villes, les résidents sont soumis à des coupures de courant massives, jusqu’à 18 heures par jour à Tripoli.
Enfin, la réconciliation nationale inclusive est nécessaire. Elle n’est pas seulement possible, elle est devenue indispensable. Il faut recoudre le tissu social qui a été déchiré après 2011. La rivalité intertribale et interethnique est bien réelle dans le cœur et dans l’esprit des gens. La justice transitionnelle pourrait jouer un rôle essentiel dans cette période charnière de reconstruction du pays pour éviter l’escalade de la violence et des vengeances. Cette démarche peut se traduire notamment par l’établissement de procédures de recherche de la vérité, de mécanismes de responsabilisation et de transparence judiciaire et de programmes de réparation. La tache n’est pas aisée. La paix civile passe par la conscience de l’intérêt stratégique, diplomatique, économique et culturel commun. Il faudrait donc dépasser les haines et le tribalisme.
Le succès ou l’échec d’un nouveau processus de transition reposaient en partie sur le rôle de la communauté internationale. Celle-ci doit soutenir le gouvernement d’entente, politiquement, économiquement et militairement. Si cela se produit, les interventions régionales feront comprendre qu’il faut cesser de soutenir telle ou telle faction pour ses propres intérêts et travailler dans l’intérêt de la paix et de la stabilité. L’ingérence régionale souffle sur des braises. Le soutien régional à chacune des factions armées différentes sur le terrain pousse à plus de violences et non vers la paix, compromettant ainsi gravement les efforts de réconciliation nationale. Par ailleurs, les milices doivent être convaincues de désarmer, la légitimité de l’Etat doit être reconstruite, les institutions doivent être recréés, l’infrastructure doit être réparée. Cela ne peut être fait qu’avec le soutien total de la communauté internationale.
La situation en Libye est confuse, complexe. Les obstacles sont innombrables pour inverser la tendance négative de la violence et du chaos enracinés dans le post-conflit. Sans compromis politique entre les différents protagonistes de la guerre civile, il n’y aura pas de stabilisation, ni de retour à l’ordre institutionnel. L’échec du dialogue pourrait présenter d’énormes défis, la poursuite de la guerre civile gangrener le pays, induire le danger de voir mettre fin aux institutions restantes, conduire à l’échec absolu de l’État et placer la Libye sur le parrainage ou la tutelle internationale, notamment sa Banque centrale (CBL), l’Autorité libyenne pour les investissements (LIA), la Compagnie pétrolière nationale (NOC).
L’exemple de la Tunisie voisine, dont les efforts de dialogue ont mérité la reconnaissance du Comité Nobel, inspirera-t-il les Sages qui existent encore en Libye pour calmer enfin les esprits et remettre le pays dans le sens de la marche ?