Manifeste des écologistes atterrés – 3 questions à Benjamin Joyeux
Benjamin Joyeux est juriste spécialisé en droit de l’environnement et collaborateur du groupe EE-LV au Parlement européen. Il répond à mes questions à l’occasion de son dernier ouvrage « Manifeste des écologistes atterrés », co-écrit avec Lucile Schmid et Edouard Gaulot et paru aux éditions Temps Présent.
Comment expliquer que, sauf en Allemagne et en Belgique, les Verts ne soient pas une force politique structurante au niveau européen ?
En réalité, les écologistes sont une force structurante importante au niveau européen. C’est plutôt le niveau européen lui-même qui est extrêmement mal communiqué au niveau de beaucoup d’États membres, en particulier ceux qui ont une tradition extrêmement centralisée comme la France. La classe politique française, dans sa très grande majorité, continue d’entretenir l’illusion de la puissance française alors que celle-ci passe bien évidemment par l’Europe. Se rendant à Bruxelles chaque semaine, nos dirigeants le savent parfaitement mais ont l’Europe honteuse, tétanisés par la montée des extrêmes droites et de leur euroscepticisme, plutôt que de se battre vraiment au niveau européen tout en l’expliquant clairement. Du coup, ils se rendent responsables de ce qu’ils craignent: la désintégration de la construction européenne.
Les Verts, au moins, sont la seule force politique qui assume vraiment un programme extrêmement ambitieux de transformation écologique de la société au niveau européen, et non pas seulement recroquevillé sur les frontières nationales. Parce que les enjeux cruciaux du XXIe siècle – le dérèglement climatique, la disparition des espèces, la raréfaction des ressources naturelles, la multiplication des migrations forcées que cela va engendrer, etc. – ne s’arrêtent pas aux frontières nationales, nous considérons l’Europe comme un horizon démocratique nécessaire et désirable. Mais une Europe pour les Européennes et les Européens, pour plus de prospérité et de solidarité, pas une Europe des technocrates et des banquiers qui cherchent à imposer la signature du Traité transatlantique ou à humilier la Grèce quand celle-ci se choisit un autre programme que l’austérité pour tous.
Pourquoi, alors que la sensibilité environnementale progresse en France dans le grand public, les écologistes régressent-ils comme force politique?
Le problème majeur pour l’écologie, c’est que l’espace politique et citoyen dans lequel elle s’est installée ces dernières années, dans le débat et dans les institutions, est en train de se réduire dramatiquement.
L’écologie se pose en alternative radicale à deux pôles, deux visions du monde qui semblent s’opposer mais se nourrissent en fait l’une l’autre: d’un côté, il y a la grande coalition du statu quo, qui réunit la droite, les socialistes et les pseudo-libéraux dans la même illusion de la croissance, de la mondialisation néolibérale, de l’Europe technocratique, de la démocratie de façade ; de l’autre, la contestation antisystème, violente et passéiste d’une extrême droite nationaliste et xénophobe ou d’une certaine extrême gauche nostalgique des Trente Glorieuses. L’écologie s’oppose également à ces deux options, car c’est dans les deux cas le monde d’hier, celui de la société industrielle et des certitudes d’un Occident qui domine le monde. Hélas, le débat est écrasé par ces fausses oppositions, et l’espace pour une autre vision de la planète et des enjeux disparaît.
Cela dit, la crise des partis politiques est générale. Nous assistons en fait à une double crise institutionnelle et représentative: d’abord, la France est toujours régie par une cinquième République taillée sur mesure pour un seul homme, le Général de Gaulle, et totalement anachronique à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux. Le citoyen devrait aujourd’hui pouvoir en temps réel donner son avis sur la gestion du pouvoir, mais observe de plus en plus indifférent une classe politique qui se déchire pour une seule compétition : l’élection présidentielle tous les cinq ans. Ce folklore institutionnel de monarchie républicaine prêterait à rire si l’extrême droite n’était pas aux portes du pouvoir. Ensuite, cela accentue cette crise de la représentation d’une classe politique perçue comme repliée sur elle-même et ne cherchant à sauvegarder que ses propres intérêts, non pas l’intérêt général. Les écologistes n’y échappent pas, bien qu’ils rejettent dans leur programme la cinquième république. Il faut dire également que ces derniers mois certaines personnalités ambitieuses d’EELV (pour une bonne partie d’entre eux ayant rejoint depuis une nouvelle structure politique) n’ont pas beaucoup contribué à donner une image plus positive de la classe politique. L’écologie est pourtant plus vivante que jamais dans la société, en témoignent par exemple les ventes des ouvrages d’un Pierre Rabhi, d’un Mathieu Ricard ou d’un Nicolas Hulot, ou l’explosion des initiatives individuelles autour des AMAP, des jardins partagés, de l’économie sociale et solidaire, des PME tournées vers les énergies renouvelables, etc.
Si le lien n’est pas fait entre cette sensibilité environnementale qui progresse et la force politique censée la représenter, c’est sans doute que cette dernière ne se montre pas à la hauteur des attentes. C’est tout un imaginaire de l’écologie politique qu’il faut reconstruire et donner à voir, par le biais de l’humilité et de l’exemplarité notamment. Comme le disait Gandhi, « changer le monde commence par se changer soi-même ». C’est notamment cela que l’on tente de détailler dans notre Manifeste.
Finalement, EELV n’est-il pas, comme les autres partis, rattrapé par des querelles d’ambitions personnelles ?
Sans doute qu’une certaine génération d’EELV a peut-être eu tendance, à force de vouloir entrer dans les institutions pour y mettre en œuvre l’écologie politique, à mettre plus en avant la maturité des écologistes dans l’exercice du pouvoir que les fondamentaux de son programme. La course à la crédibilité a sans doute au passage coûté en termes d’image sur la radicalité des écologistes à vouloir un réel changement dans le sens de la réconciliation des êtres humains avec leur environnement. En fait, pour le grand public – toutes les enquêtes le soulignent- les écologistes qu’ils voient dans le champ politique font trop de « politique politicienne » et ne parlent pas assez d’écologie. Quelle que soit la réalité de ce constat, c’est un fait qu’il faut prendre en compte d’urgence. EELV souffre également de son rapport sclérosant au Parti socialiste. Or, définir l’écologie politique par rapport au PS, que ce soit à sa gauche ou à sa droite, c’est s’enfermer dans la logique mutilante de la dictature majoritaire imposée par la cinquième République. Sans relais dans les rouages des grands corps de l’appareil d’Etat, ce jeu se réduit à jouer périodiquement les supplétifs dans des alliances contrenatures avec les grandes familles politiques héritées du passé.
Mais, l’écologie s’en prenant également à beaucoup de lobbies économiques importants, comme les grandes entreprises, ceux-ci adorent présenter les écologistes comme d’indécrottables irresponsables incapables de gouverner un pays. Cette image « d’écolos immatures et divisés », storytelling paresseux relayé en permanence par un certain nombre de médias, arrange au final beaucoup de monde. Il ne faut pas non plus se flageller en permanence et être naïf. Quand les querelles à EELV font la une de l’actualité, les avancées concrètes pour l’écologie gagnées par des élus écolos, locaux, nationaux ou européens, restent dans l’ombre. Pourtant elles existent et progressent inexorablement, du développement du bio dans les cantines scolaires à la lutte contre les pesticides, les organismes génétiquement modifiés ou, dans un autre domaine, les paradis fiscaux.
Finalement, même si cela agace beaucoup de monde, l’écologie est plus vivante que jamais, et c’est pour cela qu’il ne faut pas laisser « le pessimisme de l’intelligence » prendre le pas sur « l’optimisme de la volonté ». Nous nous présentons donc comme des écologistes « atterrés » mais certainement pas « résignés ».