17.12.2024
Colombie : un pays en voie de pacification ?
Interview
25 septembre 2015
Le terme « historique » est à mon sens quelque peu abusif dans ce cas. Il s’agit d’un accord important, inscrit dans un ensemble. Il porte sur la réparation aux victimes du conflit par les différentes parties, guérilla, forces de l’ordre, soutiens au paramilitarisme. Mais il faut bien voir que les négociations entre les FARC et le gouvernement colombien ont commencé en 2012. Trois accords ont depuis cette date été négociés et signés. L’accord du 24 septembre 2015 est le quatrième. Il en reste encore deux. L’équateur des négociations vient d’être passé. C’est la raison pour laquelle le président colombien, Juan Manuel Santos, a tenu à marquer par sa présence à La Havane, lieu des négociations, que le processus de paix était irréversible et allait vers sa dernière étape. Une date butoir a été signalée, le 16 mars 2016.
Quels sont les éléments à régler avant d’aboutir à un accord de paix global ? L’opinion publique et une partie de l’opposition politique colombienne ne constituent-t-elles pas un frein au parachèvement de cet accord ?
Les derniers points à négocier concernent les garanties relatives à l’application des accords signés par les parties. Elles portent aussi sur les assurances attendues par les membres des FARC qui vont abandonner les armes. Il y a eu dans l’histoire de la Colombie, entre les années 1980 et 1990, une première tentative de réinsertion des FARC. Elle s’est soldée par l’assassinat de 3000 de ses ex-combattants ou sympathisants. Ces questions sont au cœur de cette fin de phase de négociation. Il reste également à préciser un certain nombre de points liés aux accords signés depuis 2012.
Certains acteurs de la société colombienne sont effectivement opposés à ce processus. Ils se reconnaissent les uns et les autres dans la personne de l’ancien président Alvaro Uribe. Les uns sont des notables, propriétaires terriens et/ou éleveurs, qui à moment ou à un autre se sont trouvés confrontés à la guérilla des FARC. Il y a d’autre part les forces de l’ordre, forces armées et forces de polices, qui occupent une place privilégiée dans la société colombienne. Responsables du rétablissement de l’ordre et de la paix civile affectée par différentes formes de délinquance, politiques ou autres, elles bénéficient d’une attention budgétaire et sociale qui est la plus importante d’Amérique Latine. La préoccupation dans ce secteur est réelle. Un accord de paix éroderait nécessairement la place qui est la leur aujourd’hui. Il pourrait conduire certains de ses représentants devant la juridiction spéciale chargée des crimes contre l’humanité, dont le principe a été adopté le 24 septembre.
Depuis un certain nombre d’années, on observe un net recul des violences en Colombie. Le pays est-il en voie de pacification ? Les FARC jouent-elles un rôle important dans cette pacification ou s’agit-il d’un mouvement plus global ?
Il faut examiner le problème dans sa géographie. Les violences ne concernent pas ou plus la totalité du territoire colombien mais certains secteurs du pays. Il est vrai que dans les grandes villes, cœur de l’économie colombienne, la sécurité s’est améliorée. Aujourd’hui, qui plus est, on peut circuler en voiture, en autobus ou en camion, entre les différentes agglomérations, ce qui n’était pas possible il y a une quinzaine d’années. Mais il y reste encore dans les périphéries, principalement aux frontières colombiennes, des zones de tensions. Elles expliquent en grande partie la crise récente entre Venezuela et Colombie. Les frontières ne sont pas totalement contrôlées par l’État colombien, qu’il s’agisse de la frontière avec le Venezuela, mais aussi de celle avec le Panama ou l’Équateur. La façade pacifique est également instable et extrêmement dangereuse. L’insécurité y est élevée. En résumé, la Colombie « utile », celle qui fait fonctionner l’économie, connaît un climat de sécurité qui n’existait pas auparavant. La Colombie intermédiaire et périphérique reste marquée par les violences.
Les FARC sont nées dans les campagnes colombiennes dans les années 1960, époque où le pays était profondément rural. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. L’accord final entre la guérilla des FARC et le gouvernement va permettre de créer un contexte de sécurité au sein des campagnes. Et peut-être d’affronter la délinquance liée au trafic de stupéfiants, très présente dans ces régions. Les FARC sont totalement absentes de la Colombie des grandes villes. C’est la raison pour laquelle la négociation a été si longue et si difficile depuis que les villes ont été pacifiées. Les populations urbaines, majoritaires, ne perçoivent pas l’enjeu du conflit qui leur paraît lointain. Alors qu’il est évident pour les Colombiens des périphéries.