20.11.2024
Proche-Orient, cacophonies transatlantiques
Tribune
23 septembre 2015
Le court terme, les flux de réfugiés forçant les portes de l’Europe, et les réponses apportées ont occupé les medias latino-américains. La directive retour adoptée par l’Union européenne avait en 2008 soulevé une grande émotion dans les Amériques latines. Le discours du président français, Nicolas Sarkozy, stigmatisant les Roms, avait ranimé les polémiques en juillet-août 2010. C’est à l’aune de ce passif que l’opinion et les autorités latino-américaines ont jugé le déferlement de réfugiés orientaux en Europe. Les difficultés, les drames, les réponses policières ont fait la une. Plusieurs gouvernements latino-américains ont offert leurs disponibilités. Anibal Fernandez, chef de cabinet de la présidente Cristina Kirchner, a déclaré que « l’Argentine ouvrait ses portes ». La presse de Rio et Saint-Paul a rapporté que le nombre de réfugiés syriens accueillis au Brésil était plus qu’honorable, compte tenu de l’éloignement géographique. Le Brésil hébergeait en août 2015 selon BBC-Brésil, 2077 Syriens et assimilés. Soit beaucoup plus que les Etats-Unis (1243 selon cette source, à la même date) ou l’Espagne (1335) [1].
Ensuite de bien des pays viennent d’autres interrogations. Pourquoi ce drame ? Comment en est-on arrivé là ? Ne faudrait-il pas poser ces questions si l’on veut tarir la source de ces flux d’hommes, de femmes et d’enfants qui fuient leurs territoires d’origine ? Universitaires, chroniqueurs, et parfois responsables politiques, s’étonnent du recours systématique des Occidentaux à la force des armes au Proche et au Moyen-Orient. Quelles qu’en aient été ou en soient les raisons, elles auraient, de leur point de vue, aggravé le mal qu’elles prétendaient réduire. Et provoqué une instabilité chronique, profonde qui de la Libye à l’Afghanistan a fini par jeter sur les routes et à la mer des dizaines de milliers de gens. Avec paradoxalement des conséquences beaucoup plus lourdes pour l’Europe que pour les Etats-Unis, considérés responsables principaux de ce fiasco humain et diplomatique.
Le journaliste argentin, Eduardo Febbro, l’universitaire de même nationalité Juan Gabriel Tokatlian, ont fait part de leur perplexité à l’annonce de bombardements français en Syrie. « Peut-on , combattre une crise migratoire avec une réponse militaire ? », ont-ils écrit. Le quotidien de Rio de Janeiro, Jornal Do Brasil, a fait le 13 septembre 2015, la même analyse. “La crise migratoire” pour Pamela Mascarenhas, auteure du commentaire, « met en évidence les contradictions et les erreurs historiques de l’Europe ». Emir Sader, intellectuel proche du PT brésilien, (parti des travailleurs, gouvernemental), estime que « la fin du monde bipolaire loin de mettre fin à la guerre a (…) multiplié les offensives nord-américaines (..). Des civilisations ont été détruites en Irak, en Afghanistan, en Syrie depuis que les Etats-Unis ont revendiqué le rôle de policiers du monde » [2].
Ce message est relayé par un Sud-Américain en position de porte-voix universel exceptionnelle. Le pape François. Argentin, il porte sur le monde un regard de sud-américain, originaire de l’hémisphère sud. Il a naturellement une vision du globe terrestre qui n’est pas celle d’un nord-atlantiste. Depuis qu’il a été élu, le pape François multiplie les avertissements adressés aux grands de ce monde. On ne combat pas la violence par le recours à une violence plus grande. A Cuba, il y a quelques jours, il a de nouveau défendu les bénéfices que l’on doit attendre du pardon, de la miséricorde et du dialogue. Seuls ils peuvent permettre, a-t-il dit, d’œuvrer en faveur d’un « Bien commun ». Un Bien commun au communiste comme au croyant ou au non croyant. Il faut, a-t-il insisté, travailler sur nos dénominateurs communs, construire une « amitié sociale ». Pour ensuite aborder dans de bonnes conditions ce qui nous sépare. De La Havane où la méthode a fonctionné, pour mettre fin au contentieux avec les Etats-Unis, il a lancé un appel. Celui de pardonner et dialoguer, pour éviter de sombrer dans un cycle de violences conduisant à la troisième guerre mondiale.
Le message a été écouté bien sûr par les autorités cubaines, le corps diplomatique accrédité à La Havane, mais aussi par la présidente argentine qui avait fait le déplacement. La presse latino-américaine a relayé le message. Il est partagé par beaucoup de chefs d’Etat et de gouvernements. Le Venezuela coopère économiquement avec la Syrie. Déjà le 24 septembre 2014 à la tribune des Nations unies, la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, avait contesté la stratégie occidentale en Irak et en Syrie. « L’usage de la force »avait-elle déclaré, « ne peut pas permettre de donner la paix au monde. Un seul chemin conduit à la paix. Il passe toujours par le dialogue et la diplomatie (…) Vous dites que bombarder l’Etat islamique va résoudre le problème. Pourquoi dans ces conditions n’est-il pas résolu en Irak ? Je ne vois moi que paralysie en Irak ». Mauro Vieira, ministre brésilien des affaires étrangères, a renouvelé le diagnostic porté sur le recours à la force le 15 septembre 2015. Depuis Beyrouth où il se trouvait en visite de travail, il a indiqué, que, « la crise syrienne ne pourrait être résolue par la force, mais par un dialogue garantissant une représentation juste aux deux composantes de la société ».
Conclusion, proposée par le vice-président bolivien, Alvaro Garcia Linera le 16 septembre 2015: « Que les pays qui sont à l’origine de la destruction des Etats arabes se débrouillent avec les réfugiés de ces pays ». (…) « la carte du monde a été redéfinie de façon obscène pour un nouveau partage des champs pétroliers entre les puissances européennes et l’Amérique du Nord. (…) Qu’ils assument maintenant les migrations, conséquences de la destruction des Etats nationaux arabes » [3].
[1] BBC-Brasil, 9 septembre 2015. Le HCR signalait qu’en août 2015, l’Argentine avait accueilli 233 Syriens ; le Chili, 10 ; l’Uruguay, 44.
[2]In Página 12, Buenos Aires, 8 août 2015
[3] ABI-Agence bolivienne d’information, 17 septembre 2015