ANALYSES

Burkina Faso, un putsch révélateur d’une grande fragilité politique

Tribune
18 septembre 2015
Le général Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major et bras droit de l’ancien président Blaise Compaoré en exil depuis le 31 octobre 2014, a pris la tête des putschistes issus du Régiment de la Sécurité présidentielle (RSP) qui ont renversé le 16 septembre les autorités de transition au Burkina Faso. Il a promis d’organiser « rapidement » des élections prévues à l’origine pour le 11 octobre 2015.

Les violences qui ont eu lieu lors de ce coup d’Etat ont fait au moins trois morts et une soixantaine de blessés, des militaires qui quadrillaient la capitale, tirant pour disperser les manifestants hostiles au coup d’Etat.

Les réactions internationales ont été unanimes pour réclamer la libération du Président de transition Mathieu Kafando, du premier ministre Isaac Zida (lui-même un officier du RSP) et les ministres arrêtés lors du Conseil des ministres.
Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, a formulé sa « ferme condamnation du coup d’Etat » dans le pays et a estimé que « les responsables de ce coup d’Etat et de ses conséquences devaient rendre des comptes ». La France a adopté la même attitude, tout en indiquant que le contingent militaire français présent au Burkina Faso n’a « pas à interférer » dans les événements en cours à Ouagadougou.

Cette situation est révélatrice d’une faiblesse chronique des institutions démocratiques africaines. La transition politique née de l’insurrection exemplaire conduite il y a onze mois par la société civile avait suscité beaucoup d’espoir. Hélas, les erreurs ont été nombreuses. L’exclusion par les organes de transition d’un certain nombre de candidats du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l’ancien parti au pouvoir, aux législatives et à la présidentielle, dont Djibrill Bassolé, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré, parce qu’ils avaient pris une position favorable à l’amendement constitutionnel permettant à Blaise Compaoré de briguer un nouveau mandat après 27 ans au pouvoir, a fourni un prétexte au RSP pour intervenir. Arque-boutés à cette position, les responsables de la transition se sont discrédités, quitte à aller contre la décision de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui a invalidé en juillet le nouveau code électoral. La saisie de plusieurs milliers de fausses cartes d’électeurs en septembre avait encore un peu plus contribué à renforcer la défiance envers la classe politique. L’annonce de la dissolution du RSP composé de 1200 hommes par son intégration dans l’armée régulière était aussi vécue comme une provocation par des soldats jusque-là choyés par le régime et largement indépendants. La prise de risques était forte. Le hasard de calendrier s’en est mêlé. Le juge d’instruction en charge de l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara en 1987 venait de convoquer les avocats des parties civiles pour leur communiquer les résultats de l’autopsie du corps présumé de l’ex-président.  Gilbert Diendéré est sous le feu des projecteurs pour son rôle trouble dans cet assassinat jamais élucidé. C’est lui qui en effet supervisait son arrestation qui tournera au bain de sang.

La transition a brutalement déraillé et le Burkina Faso, qui a longtemps figuré parmi les bons élèves des bailleurs de fonds internationaux se retrouve fragilisé et déchiré. On attend une attitude claire et unanime des partis en présence et de leurs candidats aux élections, à commencer par les deux principaux rivaux, Roch Kaboré et Zéphirin Diabré, qui jusqu’à présent semblaient se satisfaire de la mise à l’écart des candidats proches de Blaise Compaoré. On peut aussi compter sur la vigilance, voire sur l’activisme des associations de la société civile, notamment du célèbre groupe « le balais citoyen » pour ne pas accepter une régression institutionnelle et démocratique.

Enfin, la position et l’intervention des pays voisins dont les institutions sont les mieux assises (Ghana, Sénégal et Bénin en particulier) seront cruciales. Ce coup d’Etat pourrait menacer la stabilité de la sous-région. Plusieurs pays organisent des élections présidentielles dans les prochains mois : la Côte d’Ivoire et la Guinée en octobre, le Niger en février 2016. Et le Mali est toujours dans un état de grande vulnérabilité. Si le chaos s’installe au Burkina Faso, cela risque d’entériner les déséquilibres d’une région avec des issues politiques et sécuritaires incertaines et, au-delà, de conforter le doute sur la démocratisation en marche en Afrique subsaharienne.
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