ANALYSES

Les frappes aériennes en Syrie : une décision à défaut de solution

Presse
15 septembre 2015
La Syrie est le théâtre d’une confrontation multidimensionnelle: confessionnelle, certes, mais surtout géopolitique, opposant des puissances locales, régionales et internationales aux intérêts antagonistes. Si l’intensification de l’intervention de forces occidentales -américaines, françaises et britanniques- en Syrie est désormais acquise, un flou saisissant demeure au sujet des raisons, des modalités et des objectifs précis d’une telle entreprise. Une ambiguité qui tend à affaiblir la crédibilité et l’efficacité de cette stratégie.

François Hollande a annoncé des vols de reconnaissance aérienne -par drones ou avions de combat?- avant de reconnaître la nécessité d’étendre les frappes contre Daech au territoire syrien (initialement cantonnées au territoire irakien depuis septembre 2014). Un pas qu’avait déjà franchi Barak Obama, malgré le doute légitime sur la légalité internationale d’une telle décision. Si juridiquement, les situations irakienne et syrienne sont en effet différentes (Bagdad a donné son accord à l’intervention militaire occidentale, contrairement à Damas), cette ingérence française conforte le nouveau statut de la France comme allié privilégié des Etats-Unis.

La décision de frapper les forces djihadistes sur ses bases syriennes prend acte, avec réalisme, de l’ancrage territorial de Daech (qui contrôle de fait près de la moitié du territoire syrien et le tiers de l’Irak), mais aussi de l’imbrication transnationale des conflits qui déchirent les deux pays du Levant. Ce constat est prolongé par l’identification d’un nouvel « intérêt à agir » pour la France. L’onde de choc des guerres qui redessinent cet « Orient lointain » revêt une force politique, symbolique et humaine nouvelle, allant bien au-delà des frontières de la région et des Etats voisins (Turquie, Liban, Jordanie).
En atteste la dimension exceptionnelle prise par la « crise migratoire » et l’exode massif des réfugiés syriens et irakiens en Europe: l’Europe, en général, et la France, en particulier, se retrouvent directement confrontées aux conséquences sécuritaires (« lutter contre le djihadisme en Syrie c’est lutter contre la menace terroriste en France ») et humaines (« lutter contre le djihadisme en Syrie c’est stopper en amont l’une des principales sources du flux de de réfugiés ») de conflits dans lesquels ils ont une part de responsabilité non négligeable.

Reste que si l’hypothèse d’une intervention militaire au sol de forces occidentales demeure exclue, il est illusoire de pouvoir stopper à court terme l’hémorragie de réfugiés irako-syriens, grâce à des frappes aériennes censées affaiblir Daech… Celles-ci ne garantissent en rien l’éradication de l’organisation djihadiste. Pis, frapper uniquement Daech, n’est-ce pas renforcer mécaniquement Bachar al-Assad, dont François Hollande a récemment appelé à la « neutralisation »?

De plus, la principale source de la dynamique djihadiste n’est pas d’ordre militaire mais politique: Daech répond à une demande ou du moins comble un vide, car les communautés sunnites se sentent exclues du pouvoir central irakien et syrien « confisqué » par les chiites. Non seulement l’organisation djihadiste a établi un ordre juridique, administratif et politique sur les territoires qu’elle contrôle, mais cette autorité tente d’incarner un « pouvoir sunnite ».

Il faut donc briser les ressorts du « soutien populaire » dont peut se targuer Daech en permettant aux sunnites de réintégrer le système politique en Irak et en Syrie. Cette dernière condition suppose que Bachar al-Assad quitte le pouvoir à Damas. Hypothèse rendue difficile par l’incapacité de prolonger l’effort militaire par l’ouverture d’un front diplomatique basé sur des négociations qui incluent les puissances régionales et internationales parties prenantes, y compris la Russie, l’Iran et les Monarchies du Golfe.

Ainsi, à elle seule, la décision d’extension des frappes aériennes n’ouvre nulle perspective stratégique et politique en vue de sortir la région du chaos dans lequel elle est plongée.
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