27.11.2024
Daech en Syrie : solution militaire ou politique ?
Interview
16 septembre 2015
Après la mise en place de la coalition internationale sous l’égide des Etats-Unis et le début des bombardements intensifs il y a plus d’un an, il faut admettre que le bilan est mitigé. L’avancée spectaculaire des milices de Daech du printemps 2014 a certes été ralentie, mais nous ne pouvons pas considérer que le mouvement a été totalement arrêté et encore moins éradiqué. Les bombardements aériens ont été incapables d’enrayer véritablement cette progression comme l’illustre la conquête du site historique de Palmyre qui est en cours de destruction par les djihadistes. Les frappes aériennes ne sont donc pas suffisantes, même si elles sont nécessaires car Daech continue de recevoir un flux de combattants étrangers assez important et surtout semble s’enraciner dans les zones qu’elle a conquises depuis quelques mois par la mise en place des attributs d’un Etat.
A deux reprises, à Kobané et à Tal Abyad, les combats terrestres menés par les milices kurdes ont été capables d’arrêter les offensives et les avancées de Daech. Cette leçon est à méditer : il semble que les bombardements aériens ne seront efficaces qu’en coordination avec des opérations terrestres. On peut alors se demander si ladite communauté internationale est disposée à envoyer des troupes au sol, avec bien sûr un mandat de l’ONU. Nous ne sommes pas dans cette situation, mais si nous voulons véritablement battre et éradiquer Daech, il faudra envisager des opérations terrestres mais ces interventions devront être coordonnées avec le gouvernement légitime d’Irak et le régime syrien.
Comment les Etats arabes voisins se positionnent-ils face à ce conflit en Syrie ?
Les Etats arabes ne sont pas unanimes : la Ligue des Etats arabes a majoritairement exclu le régime de Bachar el-Assad de son enceinte mais sans unanimité. Les Etats arabes favorables à la chute du régime syrien sont majoritaires mais l’Irak ou l’Algérie, par exemple, sont contre toute intervention extérieure car ils considèrent que le régime de Bachar el-Assad reste un rempart face aux groupes djihadistes (l’Irak est évidemment concerné par Daech au premier chef et l’Algérie entretient le souvenir de la lutte de l’Etat contre les groupes islamistes pendant la guerre civile). Il est commun de considérer que les Etats sunnites, par définition, soutiennent les combattants rebelles syriens mais la réalité est plus nuancée et les facteurs confessionnels ne sont probablement pas le moteur principal du conflit. Il me semble que le facteur politique est l’élément central de cette crise et les facteurs religieux ne sont qu’un des paramètres parmi ceux qui permettent de comprendre les évolutions de cette situation. Comprenons donc que la crise syrienne est instrumentalisée par des puissances régionales pour asseoir et renforcer leur puissance.
Le président syrien Bachar el-Assad est affaibli mais toujours au pouvoir. La coalition anti-Daech doit-elle s’appuyer sur son régime ?
Le terme « s’appuyer » n’est pas le mieux adapté, mais la question du rapport au régime se pose depuis plusieurs années : toutes les assertions formulées à de multiples reprises sur la chute imminente du régime de Bachar el-Assad se sont avérées erronées. Le président syrien, même très affaibli, est toujours présent. Il est nécessaire pour un certain nombre d’Etats, dont la France qui était très engagée dans la volonté de destruction du régime syrien, de revoir leur position. Cet infléchissement incontestable s’est illustré lors de la conférence de presse du président François Hollande du 7 septembre, lorsqu’il a expliqué que l’aviation française avait pour ordre de mener des missions d’observations qui seraient peut-être le prélude de missions de bombardements en Syrie contre Daech. Pas franchi le 14 septembre lorsque le même président a annoncé que la France participerait désormais aux bombardements en Syrie, ce qu’elle s’était refusée de faire jusqu’alors. Malgré des critiques légitimes contre le régime de Bachar el-Assad, il faut comprendre, d’un point de vue réaliste, que si ce régime est partie au problème de la Syrie, il est également partie de la solution. Il est tout à fait désagréable d’être obligé de négocier avec des éléments de son régime mais il n’y aura pas d’autre solution.
De plus, s’il y a des bombardements contre les positions de Daech en Syrie, ils doivent se réaliser en coordination avec le régime syrien qui est d’ores et déjà prévenu lors de ces opérations menées depuis un an. Il serait hypocrite de ne pas reconnaitre ce régime, même si l’idée n’est certes pas attractive. Il me semble, dans tous les cas, qu’il n’y aura pas en Syrie de solution efficiente sur les plans humanitaire et matériel sans une solution politique
Est-ce que le danger principal est le maintien d’éléments du régime de Bachar el-Assad ou bien de voir Daech arriver à Damas ? Il me semble que le choix est clair : il faut tout faire pour éviter que Daech ne parvienne à ses fins. Il est donc nécessaire d’intégrer, de façon appropriée des éléments du régime syrien dans le jeu des négociations. Pour cela, il faudra s’appuyer sur deux puissances importantes et influentes : l’Iran et la Russie. Ces deux Etats sont absolument incontournables dans une future conférence internationale destinée à mettre en œuvre une sortie politique de la crise. Cependant, le départ de Bachar el-Assad ne doit pas être la condition préalable de cette négociation, car cette question ne se posera qu’à l’issue du processus et de la formulation d’un compromis.
Tous ceux qui persistent à mettre le départ de Bachar el-Assad comme condition préalable se refusent en réalité à une solution politique. Pour certains Etats, il faudra procéder à des révisions douloureuses comme c’est le cas pour la France qui n’a cessé de répéter qu’il fallait détruire le régime et qui s’aperçoit aujourd’hui qu’il est nécessaire de changer de perspective et de logiciel si elle veut être efficace et peser un tant soit peu sur la situation.