« Un monde de souffrances » – 3 questions à Bertrand Badie
C’est un recueil d’articles de Bertrand Badie, paru dans La Croix, que publient les éditions Salvator, précédé d’une substantielle introduction inédite. Ces textes sont classés en trois parties : « Le coût de l’ignorance », « La diversité des violences mondiales » et « La pauvreté des solutions ».
Vous estimez que face aux transformations du monde, notre savoir est périmé. Pouvez-vous développer ?
Il ne faut pas oublier que notre science des relations internationales a été pour l’essentiel forgée au fil de la guerre froide, alors que la mondialisation ne faisait que poindre à l’horizon et que le banal rapport de puissance entre les deux blocs semblait résumer à lui seul la vie internationale. Les acteurs politiques qui sont actuellement au pouvoir ont été formés à cette école. Pourtant, avec l’approfondissement de la mondialisation, les choses ont bien changé et on est passé du temps de la puissance à une nouvelle séquence où le facteur humain et social l’emporte désormais. Nos dirigeants n’ont pas vu venir ce nouveau monde : d’où leur désarroi devant des crises comme celles issues de la migration ou des flux de réfugiés. Il importe donc de concevoir une nouvelle science de l’international qui place le social – et la souffrance- en son centre.
La violence identitaire vous parait-elle la plus dangereuse ?
D’un certain point de vue, oui, car rien n’est prévu pour la réguler et même la contenir. En outre, elle véhicule l’affect et l’imaginaire, là où la violence militaire est beaucoup plus maîtrisable et relève davantage des « monstres froids ». Mais j’ajouterai une idée supplémentaire : la violence identitaire devient de plus en plus le langage du désespoir, de la contestation face aux puissances avec lesquelles on ne peut plus rivaliser, l’arme du faible : elle est donc totale et non plus instrumentale, et irréductible à la négociation.
La diplomatie vous parait-elle en panne ?
Elle l’a été très longtemps, au moins depuis 1989 et la fin de la bipolarité, lorsque les puissances occidentales ont considéré que, n’ayant plus de rivaux à leur hauteur, elles pouvaient substituer la force et la punition à la négociation…On excluait, on sanctionnait, on refusait de parler : bref, tout ce que la diplomatie réprouve. On dévoyait même celle-ci pour en faire un instrument de pénétration économique, ce qui ne relève pas de ses compétences…Avec la négociation réussie sur le nucléaire iranien, il semble qu’on soit quelque peu retourné vers la diplomatie, ce qui est salutaire et à mettre au crédit de la clairvoyance de Barack Obama.