18.11.2024
Pourquoi la gestion de Tianjin n’est que le révélateur du net durcissement du régime de Pékin depuis déjà des mois
Presse
18 août 2015
Le bilan de l’accident de Tianjin sera certainement beaucoup plus lourd qu’annoncé, mais le pouvoir central garde encore une bonne maîtrise de sa communication. Paradoxalement, alors que le Président et le Premier Ministre s’expriment largement et fortement sur ce qui s’est passé, la censure s’abat aujourd’hui même sur les réseaux sociaux sur lesquels se tiennent pourtant des discours à peu près identiques. Par contre, ce que cette catastrophe a démontré et continuera de démontrer au fur et à mesure des sorties d’informations, c’est le mélange de laxisme et de corruption qui est la règle dans les provinces chinoises. Cela atteint des proportions difficilement envisageables en Occident. On parle de plusieurs centaines de tonnes de cyanure stockés dans la zone portuaire, en l’absence de toute sécurité. Mais le phénomène est bien plus général. La Chine est un pays où il existe des mines clandestines qui sortent des milliers de tonnes de charbon et où des usines employant des centaines d’ouvriers ne fabriquent que des contrefaçons. De telles quantités impliquent des complicités de très haut niveau. Le fait d’appeler les militaires à la rescousse pour régler ce type de problème n’a rien de surprenant. Tout d’abord, c’est le seul corps constitué de niveau national disposant de moyens lourds et pouvant être mis en œuvre avec un faible préavis et sans obstacles provoqués par des lourdeurs administratives ou des réticences sociales, le tout à moindre coût. Les militaires présentent aussi l’avantage d’être obéissants, loyaux et de ne pas compter leurs heures et leurs peines, y compris quand la mission qu’on leur ordonne d’exécuter comporte de réels dangers. On notera d’ailleurs que tout ceci n’est pas une spécificité chinoise. Valérie Niquet : Tianjin pourrait représenter un tournant dans la politique du régime si la catastrophe industrielle débouchait, comme dans le cas de Chernobyl pour l’URSS, sur la prise de conscience de l’inefficacité du régime. Prise de conscience qui – à terme – viendrait un peu plus saper une légitimité déjà fragile. A l’inverse, Tianjin pourrait marquer un tournant si le pouvoir réagissait à cette catastrophe en choisissant la voie de réformes – y compris politiques – débouchant sur la meilleure gouvernance d’une société chinoise de plus en plus complexe. Pour le moment, ça n’est manifestement pas la voie choisie par le pouvoir. Les déclarations officielles des dirigeants apparaissent comme totalement déconnectées de la situation dramatique sur le terrain. Sur les réseaux sociaux, en dépit de la profusion d’images les premières heures et des multiples postes soulevant des questions majeures sur la sécurité des sites industriels, le nombre réel de victimes et la gestion de la crise, c’est à nouveau la censure et surtout la reprise du contrôle du récit officiel qui l »emporte avec notamment la dénonciation des autorités locales, boucs émissaires des insuffisances du régime.
Depuis son arrivée au pouvoir, Xi-Jinping a dû affronter plusieurs contestations de son autorité. Dans quelle mesure un durcissement du régime peut-il avoir vocation à asseoir son pouvoir et sa légitimité ? Quels sont les moyens déployés à cet effet ?
Depuis son arrivée à la tête de la Chine, Xi Jingping, présenté par certains comme un homme fort incontesté, semble en réalité être confronté à de lourds problèmes de gouvernance. S’il est effectivement à la tête des trois piliers du régime, Parti, Gouvernement et Armée, les divergences entre les intérêts et les aspirations de ces trois entités sont de plus en plus fortes. Par ailleurs, les grands problèmes du pays, fracture sociale et pollution principalement, ne se règlent pas. De plus, l’économie, dépourvue de bases solides et ne pouvant pas compter sur la consommation intérieure pour prendre le relais d’exportations en baisse, donne des signes inquiétants. Confrontés à ces problèmes et obligé de ressouder le pays derrière son leader, Xi a eu recours à deux recettes classiques : la lutte contre la corruption et le nationalisme. Cela ne suffit pas. Et, autre grande plaie récurrente de l’Empire du Milieu, les autorités provinciales et locales, très corrompues et largement impliquées dans un affairisme qui gagne tout le pays, tolèrent, couvrent et même parfois pilotent des entreprises aussi illégales que dangereuses. La lutte contre la corruption devrait, « grâce » à l’accident de Tianjin, se durcir et permettre à Xi de la justifier encore davantage. Pour lui, cela présente le double intérêt d’être très populaire et de permettre, avec une justice aux ordres, d’éliminer de nombreux adversaires politiques. L’arme du nationalisme, régulièrement employée, permet aussi de ne pas parler des vrais problèmes. Un incident avec le Japon, une escarmouche en Mer de Chine du Sud et c’est toute la population qui se resserre derrière son leader. La lutte contre les déviances des autorités locales sera beaucoup plus difficile à mener, car celles-ci gèrent des racines clientélistes très profondes et savent agiter, quand le besoin s’en fait sentir, le ressentiment contre le pouvoir central. Celui-ci est facilement présenté comme un « empêcheur » du développement local, à la fois par les règles qu’il impose et par la pression fiscale. Valérie Niquet : Depuis son arrivée au pouvoir Xi Jinping se positionne sur deux fronts complémentaires : l’affirmation de son pouvoir personnel, au travers de la campagne de lutte contre la corruption qui s’apparente avant tout à une lutte de clan, et la reprise en main de la société civile au travers d »un contrôle encore renforcé d’internet et des réseaux sociaux et de la multiplication des arrestations de personnalités impliquées dans la défense des droits civiques comme récemment plusieurs dizaines d’avocats. Parallèlement, pour conforter la survie du régime, qui constitue l’objectif premier de la direction actuelle, Xi Jinping tente d »imposer un récit national autour de la thématique du « rêve chinois » de renaissance, porté par le parti communiste.
Sur le plan international et notamment vis-à-vis de l’Occident, qu’est-ce que cela peut impliquer ? Dans la mesure où la Chine renforce son armée (un budget en forte augmentation sur la dernière décennie), faut-il s’attendre à des tensions, voire un problème réel d’ordre diplomatique ? Quel message le gouvernement Chinois cherche-t-il à envoyer ?
La Chine a désormais bien compris qu’elle était réellement devenue un acteur majeur sur la scène internationale. Mais elle découvre aussi que cela entraîne des dépendances et des contraintes dont beaucoup ne veulent pas, à tous les niveaux de la population et jusque dans les sommets de la gouvernance. Toutefois, ce qui se passe actuellement dans le pays relève bien davantage de politique intérieure et devrait le rester tant que le gouvernement central contrôlera la situation. Il ne faut pas oublier que la stabilité intérieure du pays est une préoccupation qui passe avant toutes les autres pour le gouvernement de Pékin. On continue cependant de courir le risque de voir dégénérer un incident, sur une frontière ou en Mer de Chine (de l’Est ou du Sud), qui pourrait être dû au fait que, si l’Empire a fortement accru les moyens matériels de son armée, la qualité opérationnelle des personnels demeure insuffisante.
Les choses pourraient prendre une toute autre tournure si la Chine devait retourner à ses vieux démons. Ceci pourrait être la conséquence d’une rupture politique ou d’un effondrement de l’économie, aucune de ces deux hypothèses n’étant à exclure. Pour conserver le pouvoir, les dirigeants pourraient alors tenter une aventure nationaliste (« Le coup des Malouines ») en agressant Taiwan, ou un pays riverain de la Mer de Chine du Sud ou même en provoquant un incident majeur avec le Japon ou les Etats-Unis. Une « explosion » de la Chine n’aurait pas eu de conséquences majeures sur le reste du monde il y a trente ans. Ce n’est plus le cas actuellement. Valérie Niquet : Sur la scène internationale, et particulièrement en Asie, on constate un désinhibition de la stratégie extérieure de la Chine : il ne s’agit plus d’agir avec modestie en cachant son jeu et sa puissance comme le prônait Deng Xiaoping mais au contraire – essentiellement pour renforcer la légitimité interne du régime autour de thèmes nationalistes – d’affirmer sa puissance. Si le régime chinois reste pragmatique et ne souhaite pas un conflit ouvert avec ses voisins et moins encore avec la puissance américaine, cette stratégie est potentiellement très déstabilisatrice et nuit à l »image de la Chine sur la scène internationale.
Dans un article publié le 16 aout, le New York Times (voir ici) fait état d’un froid entre Etats-Unis et Chine. En cause : l’opération chinoise pour récupérer des fugitifs installés partout dans le monde, via les forces des services secrets. Les méthodes utilisées, (menaces de s’en prendre à la famille restée au pays), par les services secrets chinois témoignent-elles d’un durcissement du régime ?
Même s’ils font souvent un grand succès médiatique, les « services secrets » chinois sont très peu et très mal connus. Par ailleurs, la « récupération » de fugitifs installés à l’étranger est loin d’être une nouveauté et ce n’est pas une spécialité chinoise. La menace de s’en prendre à des familles restées au pays n’est pas non plus nouvelle et a toujours été employées par les pays dictatoriaux, non seulement envers les fugitifs, mais même envers les citoyens ayant une raison de se rendre à l’étranger. Pendant très longtemps, la plupart des diplomates chinois, comme ceux des « démocraties populaires », ne pouvaient s’installer en poste que s’ils laissaient en « otage » derrière eux une épouse ou un enfant. Valérie Niquet : On a ici non pas l’exemple d »un tournant dans la politique du régime mais au contraire la confirmation que – contrairmeent à ce que beaucoup d’observateurs et d’acteurs étrangers avaient pu espéréer – en dépit de plus de trente années de réformes économiques et d’ouverture sur l’extérieur les fondamentaux du régime n’ont pas changé. Au contraire, face à une perspective accrue d’ouverture, c’est la voie de la reprise en main que le régime a choisi. Mais – si l’on veut risquer une comparaison avec l’URSS, dont l’effondrement constitue un contre-modèle absoulu pour Xi Jinping, le régime chinois a mis en place, avec une très grande habileté, la soupape de sécurité de l’ouverture des frontières. Pour beaucoup de chinois de la classe moyenne aujourd’hui, la solution se trouve dans le départ à l’étranger plus que dans une révolte vaine contre le régime.