17.12.2024
Les défis que pose tranquillement la Chine à l’Occident
Presse
18 juillet 2015
Premier défi : piratage des données et cyberguerre, quand la Chine prépare ses armes pour un conflit délocalisé sur internet
François Bernard Huyghe : Les Etats-Unis accusent systématiquement la Chine, à chaque nouvelle attaque informatique les visant. C’est un leitmotiv des sociétés de sécurité US, des think tanks, du Cybercommand, etc. : le risque de supériorité chinoise en matière de cyberattaques. Au point qu’Obama a adressé des reproches publics à Xi Jinping à ce sujet et que la justice américaine a inculpé trois officiers chinois pour avoir mené des attaques depuis leur cellule de Shangaï. Une des plus virulentes est Hillary Clinton : dès 2010, elle soutenait Google contre Pékin dans un conflit à propos d’une intrusion dans Gmail et elle ne cesse de dénoncer le cyberpéril jaune dans sa campagne électorale.
Ces accusations reposent sur un triple raisonnement : 1 les adresses IP d’ordinateurs à l’origine de très nombreuses attaques sont situées sur le territoire chinois, 2 dans un pays aussi contrôlé, cela ne pourrait pas se faire sans l’ordre ou au moins l’accord du gouvernement, 3 Pékin a le motif (le désir de s’emparer de la technologie occidentales) et les moyens de mener des intrusions systématiques, donc il est coupable.
La Chine est devenue synonyme de pillage de propriété industrielle et de « Advanced Persistent Threat » (un piratage informatique sophistiqué pour pénétrer une entreprise ou une organisation cible durablement). Même en supposant que les américains en rajoutent dans la fabrication du grand ennemi, difficile de nier la pratique l’espionnage cyber à grande échelle. En revanche, on ne voit guère de cas où ce pays utilise le sabotage des systèmes d’information (comme par exemple les USA retardant la nucléarisation de l’Iran avec le virus Stuxnet ou la Russie contre l’Estonie ou la Géorgie). Si vous considérez que l’espionnage n’est pas la guerre, les Chinois n’ont jamais fait d’actes de cyberguerre. Mais personne ne doute qu’ils se dotent d’armes informatiques offensives et qu’ils se préparent au cas où.
Il est difficile de dire de quand date la prise de conscience de la Chine concernant l’importance d’être précurseurs en terme de cyberguerre et de hacking. En effet, la doctrine chinoise sur ce sujet est plutôt discrète (et vos interlocuteurs chinois encore plus quand vous abordez le sujet). En 2009, un rapport de Northrop et Gruman parlait d’une transformation profonde des capacités militaires chinoises depuis plusieurs années : une « stratégie de guerre de l’information dénommée Integrated Network Electronic Warfare (INEW) avec attaques par des réseaux d’ordinateurs et guerre électronique », combinées à des attaques « classiques » par le fer et par le feu. Dans les milieux stratégiques on cite avec admiration un livre de deux colonels chinois Q. Liang et W. Xiangsui » La guerre hors limites » publié en 1999 et qui théorisait déjà la place des attaques informatiques dans les futurs conflits. Les virus made in China et les grandes opérations dénoncées et baptisées depuis presque quinze ans (Byzantine Candor, Titan Rain, Shady Rat, etc.) renvoient à un projet encore plus ancien. Bref : sur le plan intellectuel et stratégique, ils sont tout sauf en retard.
La réputation du cyberdragon tient surtout à l’ampleur des moyens employés, au nombre des attaques d’espionnage et au caractère systématique des intrusions dans les systèmes d’entreprises, d’institutions, de centres de recherche, d’administrations, etc; du monde entier. Donc une inlassable énergie, de la continuité et la volonté de s’introduire partout plutôt qu’une grande sophistication ou l’agressivité des attaques (qui prélèvent de l’information plutôt qu’elle ne détruisent ou ne sabotent). Quant à la défense chinoise, elle repose sur le fait que le pays, jouant à fond la carte de la « balkanisation du Net » a su s’isoler des influences idéologiques (et a fortiori des cyberattaques) venues de l’ouest et de la Toile. On parle d’une Grande Muraille Numérique, qui fait que le pays a des frontières sûres dans le cyberespace. Par ailleurs, la Chine a songé à se doter très tôt d’équivalents locaux de Google ou Facebook, de fournisseurs d’accès, etc. pour ne pas dépendre de l’Occident (ce qui permet de contrôler la première population d’internautes du monde et de se protéger de toute dépendance technologique). Cela prouve surabondamment que ce pays a une stratégie à long terme de souveraineté et de sûreté numériques.
Deuxième défi : l’expansionnisme chinois, justifié par le désir d’incarner un pouvoir incontournable en Asie du Sud-Est et dans toute la région
Jean-Vincent Brisset : Quand on parle des rapports de la Chine avec le monde extérieur, il est nécessaire de rappeler certains fondamentaux. Même s’ils ne sont pas affichés ouvertement, ils restent profondément ancrés dans l’inconscient collectif et expliquent beaucoup de choses.
Tout d’abord, la Chine, Empire du Milieu, se positionne comme étant le centre d’un Monde essentiellement peuplé de hans confucéens.
Son premier cercle est constitué de nations qui, à un moment au moins de leur histoire, ont été des vassales et pourraient (devraient ?) le redevenir. A l’extérieur, des « Barbares » étrangers à la civilisation chinoise.
Ensuite, contrairement à l’Occident, la Chine considère les frontières et les traités comme étant la photographie de l’état des lieux à l’instant de la signature et non pas comme un engagement pour le futur. D’où la possibilité de les remettre en cause si les rapports de force évoluent.
Enfin, contrairement à beaucoup d’idées reçues, l’étendue du territoire de la nation chinoise a beaucoup évolué au cours des siècles. L’empire des Ming, sans doute la plus puissante des dynasties purement chinoises (1368–1644, 6,500,000 km²) ne recouvrait qu’une partie de la Chine d’aujourd’hui (9,596,961 km²), elle-même nettement moins étendue que celle de l’occupation mongole (dynastie Yuan, 1271-1368, 14,000,000 km²) ou mandchoue (dynastie Qing, 1644-1912 13,150,000 km²).
Le premier point fait que, même si ses dirigeants sont parfaitement conscients d’avoir un destin planétaire, les aspirations profondes du pays ne sont pas forcément du même niveau. On peut penser que, si les Chinois aimeraient être reconnus au niveau mondial, et peut être même être considérés comme étant d’essence supérieure, leurs ambitions hégémoniques sont bien davantage régionales, un espace dans lequel ils peuvent se montrer parfaitement intransigeants. Cependant, ce schéma est aujourd’hui battu en brèche. L’ouverture au monde extérieur, refusée pendant des siècles, est devenue très difficile à empêcher, même si le gouvernement continue de se penser légitime en limitant certains accès au monde extérieur, tant en censurant les médias qu’en contrôlant durement les accès Internet.
La volonté expansionniste que l’on observe actuellement se traduit par des poussées en direction de la Mer de Chine Orientale et la Mer de Chine du Sud. Ces revendications sont appuyées par une impressionnante montée en puissance d’une marine de guerre bâtie en quelques années malgré une quasi-totale absence de traditions et d’expérience dans ce domaine. Le pays a pris conscience de sa puissance dans les premières années du XXI° siècle. La volonté de réussir les Jeux Olympiques de 2008 et l’Exposition Universelle de 2010 ont d’abord conduit à mettre en veilleuse les revendications maritimes. Cet obstacle passé, la voie de la conquête était libre. On peut aussi penser que, si Xi Jingping a été aussi loin dans cette direction, c’est aussi pour des raisons de politique intérieure. Présenté un peu rapidement comme l’homme très fort et le détenteur de tous les pouvoirs, il semble que Xi soit loin de faire l’unanimité dans la classe dirigeante et au sein de son propre parti comme de son Armée. Ceci expliquerait le recours très marqué à la lutte contre la corruption, lutte qui permet de se débarrasser de certains adversaires et dont le succès populaire est garanti dans un pays qui en souffre beaucoup. L’affichage d’un nationalisme conquérant, destiné à « effacer les humiliations » est aussi une manière de recueillir un appui sans faille de la population et, de plus, de forcer les dirigeants conservateurs à accorder des satisfécits au Président Xi.
Mais, si ces actions ont un effet positif sur le plan intérieur, il n’en est peut-être pas de même à l’extérieur. Ce qui s’est passé en mer de Chine Orientale, autour des îles Senkaku/Diaoyu, a durci l’opinion publique japonaise et permis à ses dirigeants de remettre en question la politique de défense de Tokyo, dans un sens beaucoup plus offensif. De la même manière, les pays riverains de la Mer de Chine du Sud ont réagi en tentant d’impliquer dans leurs revendications l’ASEAN dans son ensemble. Face au Japon, Pékin a réagi en mettant une certaine sourdine à ses revendications. Et, pour empêcher toute réaction commune des pays de l’ASEAN, Pékin a dû exercer de très fortes pressions sur les pays qui étaient les plus proches et les plus dépendants de lui, à savoir le Cambodge et la Birmanie. Il a réussi à bloquer l’élaboration et l’adoption du code de conduite (proposé par les pays directement concernés) qui aurait tracé des limites claires.
De plus, les constructions d’installations à but militaire et les déploiements de plateformes pétrolières dans des zones revendiquées par les riverains ont continué.
Mais, ce qui est le plus contreproductif pour la Chine est le fait que ce qui est perçu comme une série d’agressions par ses voisins a eu pour effet de les rapprocher des Etats-Unis, son principal adversaire. Il est loin le temps où certains croyaient voir se dessiner un G2. Aujourd’hui, le soutien plus ou moins direct de Washington est demandé par la plupart des pays concernés, y compris par Hanoi. Et cette demande légitime la présence de moyens militaires américains dans la zone. Des incidents ont déjà eu lieu, mais les Chinois savent très bien qu’ils ne peuvent pas se permettre de traiter un navire de l’US Navy comme un bateau de pêche philippin.