L’Iran va-t-il devenir le paradis des investisseurs?
Grâce à l’accord conclu entre les grandes puissances et Téhéran et qui prévoit une levée des sanctions internationales à partir de 2016, le pays s’attend à une ruée des investisseurs. Pour preuve, des délégations de grandes entreprises se succèdent depuis des mois dans la capitale iranienne, français et allemands en tête. Le vice-chancelier et ministre de l’Economie allemand, Sigmar Gabriel vient d’ailleurs d’arriver sur place, il restera jusqu’à mardi. Quels marchés sont convoités ? Quelles sont les priorités de l’Iran ? La croissance sera-t-elle au rendez-vous ?
Réponses avec Thierry Coville, spécialiste de l’Iran et chercheur associé à l’Iris, l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Que représente le marché iranien en terme de chiffres ?
C’est simple, l’Iran était le premier marché du Moyen-Orient pour la France au milieu des années 2000 – en 2005-2006 – avant les sanctions. Il faut savoir que l’Iran est un pays qui compte 80 millions d’habitants. C’est un marché où il n’y a quasiment jamais de problème de paiement, c’est un marché avec une classe moyenne importante qui veut consommer. Il y a quasiment du potentiel dans tous les secteurs.
Des marchés comme celui-là, avec 80 millions d’habitants, dans lesquels il n’y a pas de problème de paiement et qui ne sont pas très loin géographiquement pour la France, c’est une grosse opportunité.
Tous les secteurs sont à investir ou il y a des priorités ?
Evidemment, on pense tout de suite à l’énergie. Total d’ailleurs travaillait beaucoup en Iran. Quand on pense à l’énergie, on pense au pétrole bien sûr, mais il y a aussi le gaz naturel. L’Iran veut développer les exportations de gaz naturel. Cela nous intéresse, nous Européens, puisqu’il y a le problème de notre dépendance vis-à-vis du gaz russe.
On pense aussi évidemment à l’automobile. Peugeot vendait dans les 450 000 véhicules en Iran en 2010-2011 avant de partir volontairement, appliquant à lui-même les sanctions, et perdant plusieurs milliers d’emplois. Renault est également présent en Iran avec la Logan. Je crois qu’ils sont à 90 000 unités.
Mais au-delà de l’énergie et de l’automobile, je pense que tous les secteurs sont concernés, de l’agroalimentaire à l’hôtellerie, au tourisme, au service informatique – il y a une sorte de boom de tout ce qui relève de l’économie hi-tech. L’Iran est un marché neuf.
La population, qui est soumise à ces sanctions depuis plus de dix ans maintenant, pourra-t-elle rapidement voir le fruit de cette ruée attendue ?
Le problème de l’Iran, c’est qu’il y a eu les sanctions et en plus l’effondrement du prix du pétrole à partir de l’été 2014 – l’Iran est très dépendant du pétrole qui représente la moitié de ses recettes budgétaires. La croissance économique est actuellement très faible, entre 1 et 2 %, quand le pays connaît une inflation de 15 %. Avec la levée des sanctions on peut s’attendre à ce que l’économie reparte quand même. On peut attendre une croissance de 4-5 % en 2016.
Le problème numéro un de l’Iran actuellement, c’est le chômage, qui à mon avis tourne en réalité autour de 18-20 %. Donc le gouvernement espère qu’avec une reprise de l’activité en 2016 le chômage pourra commencer à diminuer.
La France et l’Allemagne sont en tête de ligne pour réinvestir ce marché iranien. Quels sont leurs principaux concurrents ?
L’Allemagne est traditionnellement le pays qui a la plus grosse part de marché en Iran. Les Français aussi ont une très bonne image, on ne le sait peut-être pas assez, auprès des entreprises iraniennes. Il y a des problèmes diplomatiques entre la France et l’Iran, mais quand je suis allé en Iran en mai, le message que l’on m’a passé, c’est que les entreprises françaises étaient très connues, très estimées et qu’elles étaient attendues en Iran.
Le fait que la France ait été très dure dans ses négociations ne va pas perturber les investissements français ?
Non, je ne crois pas. Il peut y avoir des gestes de mauvaise humeur, c’est sûr que le climat diplomatique n’est pas bon, mais je pense que sur le plan des décisions, les Iraniens sont très pragmatiques, cela se fera au niveau des prix et de la qualité.
Par contre, ce qu’il faut savoir, c’est que les Asiatiques, les entreprises chinoises, les entreprises coréennes, les entreprises indiennes, les entreprises turques, ne sont pas parties du pays. Elles ont donc pris des parts de marché aux entreprises françaises et européennes. Et il y a d’autres entreprises qui vont arriver : les entreprises américaines, qui sont déjà là à négocier. On s’attend à beaucoup de compétition.
On parlait des concurrentes. L’Italie est-elle aussi un concurrent sérieux ?
Oui, tout à fait. Je ne l’ai pas citée précédemment, mais cela concerne toute l’Europe. Et c’est pour cela que les sanctions ont marché : l’Union européenne était le plus gros partenaire commercial de l’Iran. L’Europe s’est appliquée durement les sanctions de l’Iran et s’est pénalisée elle-même…
Donc la part de marché de l’Europe a diminué en Iran et en ont profité les entreprises chinoises, notamment dans le secteur de l’automobile, les entreprises indiennes et chinoises dans le secteur de l’énergie, les entreprises turques. Tout cela, ce sont des parts de marché qu’il faudra retrouver.
Comment l’Iran va-t-il faire son choix dans cette ruée d’investisseurs ?
C’est assez simple, cela va être une question de prix et de qualité. Les décideurs vont faire jouer la concurrence. Maintenant, il y a des objectifs stratégiques en Iran.
Les décideurs veulent diminuer leur dépendance pétrolière et veulent absolument relancer la production nationale. C’est un mot d’ordre en Iran. Donc les Iraniens veulent qu’il y ait des transferts de technologies, ils veulent que cet argent ne consiste pas simplement à importer et à consommer.
Je pense que les entreprises qui apparaîtront justement comme comprenant ces objectifs, faisant les transferts de technologie, améliorant la compétitivité de l’industrie nationale iranienne permettant ainsi une augmentation des exportations non pétrolières iraniennes, auront un plus par rapport aux autres.
Tout est à faire, on l’entend bien. Est-ce que cette levée des sanctions qui est attendue pour 2016 peut aussi avoir des effets pervers ?
Oui, la grande peur en Iran est que vous ayez des groupes qui voient dans la levée de ces sanctions un moyen de faire des surprofits en important des produits de luxe. Cela permet de consommer mais cela ne rapporte rien à terme. Il y a un débat interne en Iran. Dans le secteur de l’automobile par exemple, il y en a qui voudraient simplement importer des voitures de luxe, alors qu’une partie du gouvernement dit : non, attention, il faut favoriser l’industrie nationale.
Il y a un autre débat aussi, c’est que la population dans son ensemble pense qu’avec le levée des sanctions tous les problèmes vont disparaître. Le gouvernement est en train de leur dire : attention, tous les problèmes ne vont pas disparaître.
Il y a énormément de problèmes dans l’économie iranienne : la corruption, l’indépendance pétrolière, la bureaucratie, un environnement compliqué pour le secteur privé… Le secteur privé ne représente que 15 % de l’industrie en Iran. Donc le gouvernement est en train de dire de faire attention. Il faudra imposer des choix difficiles. L’Iran ne pourra pas tout donner tout de suite à la population. On s’oriente vers une période assez délicate pour le gouvernement iranien qui doit gérer une grosse espérance de la part de la population.