ANALYSES

L’évolution de la législation militaire japonaise déstabilisera-t-elle la région Asie-Pacifique ?

Interview
17 juillet 2015
Le point de vue de Edouard Pflimlin
Que contient le projet de loi qui vise à renforcer le rôle militaire du Japon ? Est-il selon vous un tournant majeur dans l’histoire militaire du pays ?
Effectivement, le projet de Shinzo Abe contient des changements importants pour la politique de défense japonaise. Ces dix projets de loi prévoient notamment le passage d’une doctrine de sécurité d’autodéfense individuelle à une doctrine d’autodéfense collective et permettra donc au Japon de venir en aide à des pays alliés, et notamment aux États-Unis liés par un traité de sécurité collective avec le Japon depuis 1960. Ces modifications représentent un changement majeur dans la politique de défense japonaise qui jusqu’alors, se limitait à la défense du territoire et de zones autour de l’archipel. Sur le fond, un certain nombre d’exemples ont été donnés afin d’illustrer le genre d’opérations que les forces d’autodéfense de l’armée japonaise pourraient être amenées à réaliser. Premier cas de figure, si un navire militaire américain était attaqué par une force ennemie, chinoise ou nord-coréenne par exemple, on imagine que le Japon pourrait alors venir en aide à ce navire. Autre possibilité, si le Golfe persique se trouvait miné par une puissance ennemie, le Japon pourrait être amené à y déployer des navires, en vertu de ses besoins en approvisionnements énergétiques notamment pétroliers, qu’elle y détient. Autre cas de figure, le Japon pourrait participer à des opérations de maintien de la paix (OMP) international en envoyant des forces qui pourraient désormais fournir un appui logistique et éventuellement protéger des travailleurs étrangers sur place ce qui, jusqu’à présent, n’était pas le cas.
Ces différents cas de figure, envisagés dans les projets de lois, marquent une rupture importante par rapport à la politique traditionnelle du Japon, fondée sur l’interprétation de la constitution de 1947.

Pour quelles raisons le Japon veut-il mettre en place un tel projet ? Est-il soutenu par sa population ?
Il y a plusieurs raisons à cela. Le Japon a la perception que son environnement géopolitique immédiat est de plus en plus menaçant, en raison du développement de la puissance chinoise, notamment navale et aérienne. Les forces chinoises ont des revendications territoriales en mer de Chine méridionale mais également en mer de Chine orientale, sur les îles Senkaku-Diaoyu par exemple. La Corée du Nord, avec la poursuite de son programme militaire nucléaire et balistique, apparait elle aussi comme une menace. Cet environnement géopolitique justifie aux yeux des Japonais, notamment du Premier ministre Shinzo Abe au pouvoir depuis décembre 2012, une évolution de la politique de défense.
Pour ce qui est du soutien populaire à ces lois, les sondages montrent que les dernières propositions ne sont soutenues que par environ un tiers de la population. D’importantes manifestations ont eu lieu récemment, regroupant des dizaines de milliers de personnes exprimant leur colère face à cette évolution de la politique de défense. Ils considèrent que ces projets de lois remettent en cause le pacifisme traditionnel du Japon et pourraient l’amener à s’engager dans des conflits armés ce qui, pour beaucoup de Japonais, représenterait une catastrophe.

Quelles peuvent être les conséquences d’un tel projet au niveau régional ? Peut-il à terme en bouleverser les équilibres ?
Les conséquences de cette évolution de politique de défense au niveau régional sont assez importantes dans la mesure où ces lois permettent de renforcer la participation militaire du Japon, notamment à l’alliance nippo-américaine. En effet, elle donne au Japon un rôle beaucoup plus important dans cette alliance, puisqu’il deviendra un partenaire beaucoup plus présent aux côtés des Américains. Ces derniers reprochaient d’ailleurs au Japon de trop privilégier leur défense territoriale.
Les conséquences géopolitiques seront également liées à la réaction des voisins du Japon, et notamment celle de Pékin. Evidemment, la Chine est assez mécontente de la situation puisque cela remet en cause sa domination sur une partie de la zone Asie-Pacifique. Le Japon, au-delà du renforcement de son alliance avec les États-Unis, pourrait par la suite éventuellement chercher à développer des partenariats militaires renforcés avec les Philippines ou l’Australie. Par conséquent, la Chine a réagi de façon très critique en appelant le Japon à rester dans la voie du développement pacifique et à retenir les leçons de l’histoire, dénonçant un retour du militarisme japonais. La Corée du Nord a elle aussi réagi en avançant les mêmes arguments que Pékin, mais de manière encore plus virulente.
Enfin, ce projet peut permettre au Japon de jouer un rôle plus important sur la scène internationale. Le pays a, par exemple, déjà réalisé et réalise toujours des opérations au large de l’Afrique, en luttant contre la piraterie via une base militaire située à Djibouti. On peut alors imaginer que ce rôle prenne de l’ampleur et que le Japon déploie des forces sur des zones beaucoup plus vastes, avec un rôle accru.
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