20.11.2024
L’Union européenne face à la crise : quelle voix doit porter la France ?
Interview
10 juillet 2015
Il est évident que la nature du couple franco-allemand a profondément changé depuis plusieurs années. L’époque où la France et l’Allemagne étaient sur un strict pied d’égalité, voire même celle où la France exerçait une sorte de leadership avec une très bonne entente avec l’Allemagne, est révolue. Aujourd’hui, aussi bien en termes économiques que démographiques, c’est l’Allemagne qui est le pays le plus important de l’Union européenne. Néanmoins, l’Allemagne a besoin de la France pour ne pas donner l’impression qu’elle veut diriger seule une Europe allemande.
Par conséquent, même si l’époque idyllique Schmidt-Giscard ou Kohl-Mitterrand n’est plus, il y a toujours une actualité du couple franco-allemand même dans un rapport de force différent. On voit bien d’ailleurs qu’alors que Paris et Berlin diffèrent sur le cas grec, les deux pays sont néanmoins obligés de s’entendre et tiennent à ne pas rompre. Sans oublier que ce couple sait encore être efficace, à l’image des accords historiques de Minsk obtenus il y a quelques mois. Par conséquent, il n’est pas obsolète, il a plutôt changé de nature.
A l’évidence, le couple franco-allemand n’a plus la même importance dans une Europe à 28 qu’il ne pouvait en avoir dans une Europe à 12, mais il reste une pièce maitresse de la construction européenne. Ceci étant, il n’est pas un couple exclusif, il faut nécessairement que la France et l’Allemagne s’accordent avec les autres pays de l’Union.
Quelle est, à l’heure actuelle, la position défendue par la France dans les négociations sur la crise grecque ? Selon vous, quelle voix, via François Hollande, doit-elle porter ?
Il est vrai que François Hollande est beaucoup critiqué sur ce dossier. On lui reproche de ne pas avoir suffisamment fait pour aider les Grecs et de ne pas avoir été offensif vis-à-vis de la fermeté – pour ne pas dire l’intransigeance – d’Angela Merkel. Cette dernière est elle-même tiraillée politiquement entre son électorat, particulièrement remonté contre la Grèce, et l’intérêt national allemand qui se trouve dans le projet européen. En effet, s’il devait y avoir demain un référendum en Allemagne sur le dossier grec, les Allemands voteraient probablement pour une exclusion pure et simple de la Grèce de la zone euro. Mais dans le même temps, elle ne veut pas assumer le rôle historique d’être la chancelière allemande qui aurait commencé à défaire l’Europe, au vu de l’importance du projet européen pour son pays. Angela Merkel doit donc tenir compte, comme tout dirigeant d’un pays démocratique, de son opinion publique mais également de l’intérêt national allemand, deux choses qui ne coïncident pas toujours entre elles.
Dès 2012, François Hollande souhaitait modifier le rapport de force et peser sur l’Allemagne pour la contraindre à desserrer les politiques d’austérité en Europe. Il avait d’ailleurs commencé à mettre en œuvre cette politique avec Mario Monti, ancien président du Conseil des ministres italien de novembre 2011 à avril 2013, sans succès. François Hollande est aujourd’hui isolé dans ce rapport de force avec l’Allemagne. Les gouvernements en faveur de l’austérité et de la voie allemande sont finalement plus nombreux que ceux partageant l’ambition française. Ainsi, Matteo Renzi apparait encore plus proche d’Angela Merkel que Mario Monti ne l’était en son temps. Ce n’est pas non plus l’Espagne qui peut endosser ce rôle, ni bien sûr la Grande-Bretagne. Par conséquent, François Hollande, tout en conservant la même ligne politique et la même attitude, n’a simplement pas assez d’alliés pour imposer un nouveau rapport de force avec l’Allemagne.
Sur le dossier grec, le résultat de sa politique reste encore à venir. Si la Grèce sort de l’euro, ce sera un échec pour François Hollande. Mais, à l’inverse, si la Grèce est maintenue dans la zone euro grâce à un plan adopté et adapté, alors il aura été, quels que soient les reproches qui lui ont été faits, le grand artisan d’une solution permettant aux Grecs de sortir la tête haute de cette crise, sans être humiliés et réussissant à satisfaire tant les pays de l’Union européenne, la Banque centrale que les Grecs. Par conséquent, l’absence d’un accord pourra peut-être en partie lui être reprochée ou, au contraire, pourra lui donner sa part de succès si un accord est signé lundi prochain.
Egoïsmes nationaux d’un côté et remise en cause du diktat européen de l’autre, l’Europe semble de plus en plus divisée politiquement. Le projet d’Union politique n’est-il pas plus éloigné que jamais ? Comment pourrait-il être relancé ?
Effectivement, on voit bien que l’Europe est loin d’être une fédération. Les intérêts nationaux priment toujours sur les intérêts européens et chacun essaie de mesurer ce que lui rapporte l’Europe face à ce qu’il doit y contribuer. Bien sûr, on évoque beaucoup les valeurs européennes – à juste titre puisqu’elles existent -, mais il n’y a pas pour autant de sentiment d’appartenance européenne qui dépasse les égoïsmes nationaux. Ce phénomène, qui n’est pas propre à l’Union européenne, se retrouve également au niveau national entre territoires, sujets à des rivalités et tensions. Donc, effectivement, les populations restent encore dans un cadre plus national qu’européen mais, malgré ces égoïsmes de plus en plus nombreux, une redistribution s’exerce tout de même à l’échelle européenne. Il suffit de voir historiquement ce qu’a apporté à l’Espagne ou au Portugal, puis aux pays est-européens qui ont adhéré plus récemment, l’adhésion à l’UE. L’Union européenne n’est certes pas une sorte de phalanstère où tout le monde partage tout de façon égale, mais une certaine solidarité s’applique malgré tout.
Néanmoins, pourquoi ne pas imaginer que le projet d’Union politique en Europe soit relancé après cette crise ? L’Europe a souvent fonctionné comme cela : les grandes crises ont toujours amené une accélération et une mise en avant de l’Union. Espérons qu’il en sera de même cette fois-ci. Finalement, si un accord est conclu dimanche, réglant définitivement la question entre la Grèce et ses créanciers, alors il symbolisera une victoire de l’Europe et sera le signe qu’elle est une entité qui fonctionne.