20.11.2024
Crise grecque : Le rôle du FMI en question
Tribune
9 juillet 2015
Il faut commencer par rappeler la raison qui a présidé à la création du FMI en 1945. Le rapport de force et le rôle du FMI avec les pays tel qu’il est pratiqué depuis un certain nombre d’années n’a pas toujours été le même. En 1945, lorsque le FMI est créé dans le cadre des accords de Bretton Woods, sa mission principale est de gérer le système monétaire international (SMI) basé sur un système de change fixe. Il s’agissait d’assurer que tous les pays puissent garantir le taux de change de leur monnaie avec le dollar dans le cadre du système d’étalon de change or et donc commercer et se reconstruire.
Ce n’est qu’en 1973, lors de l’effondrement de ce système de change fixe, que le FMI va progressivement se réformer : n’ayant plus de prise directe sur le SMI ou les taux de change puisque fixés par le marché, il va se spécialiser dans « l’accompagnement » des pays rencontrant un déséquilibre de leur balance des paiements, notamment dû à une fuite de capitaux entraînant des problèmes monétaires, financiers et économiques majeurs. Le FMI prête de l’argent aux pays en difficulté afin de stopper l’hémorragie et conditionne ces prêts à la mise en place de réformes afin de restaurer l’équilibre de leur balance des paiements. Le principe de la conditionnalité n’est en soi pas forcement critiquable : qui prêterait sans condition à quelqu’un en difficulté ? Ce qui l’est plus c’est l’idéologie dans laquelle s’est inscrite pendant longtemps cette conditionnalité : la libéralisation des marchés et la dérégulation, l’ouverture de l’économie et la réduction des dépenses publiques étaient considérées comme des réformes pertinentes pour soutenir la croissance économique. Or, dans des pays fragiles et fragilisés par une crise, ce type de mesures a souvent des contrecoups qui s’avèrent très durs : augmentation du chômage, de la précarité et de la pauvreté entraînant des contestations sociales, voire des problèmes politiques majeurs, etc. Le scénario est bien connu !
Face aux déconvenues et aux erreurs d’analyses du FMI dans les années 80 pour l’Amérique latine, puis dans les années 90 face à la crise des pays asiatiques et aujourd’hui vis-à-vis de l’Europe, sans parler de sa gouvernance qui peine à se renouveler, quelle est aujourd’hui la légitimité du FMI sur la scène internationale ? Cherche-t-il à se remettre en question face aux multiples critiques qui lui sont adressées ?
On ne peut pas qualifier les erreurs commises d’erreurs d’analyse. Dans le dogme libéral qui dominait les institutions de Washington, l’ensemble des parties prenantes au FMI soutenaient ce que l’on a appelé « le consensus de Washington ». Ce corpus de mesures stipulait, comme nous venons de le voir, que c’est par la libéralisation et l’ouverture des économies que ces dernières se développeraient et résoudraient leurs problèmes économiques et financiers. Par conséquent, nous ne sommes pas sur une erreur d’analyse mais plutôt sur un point de vue dogmatique ou idéologique donc forcément discutable (de la même manière que le point de vue inverse pourrait être également discuté !). Le FMI a tiré certains enseignements de ses erreurs et fait son mea culpa, affirmant que dans certaines conditions, l’application de ce point de vue pouvait entrainer un certain nombre de problèmes sociaux et politiques. Mais encore une fois, je ne crois pas que l’on n’ait jamais admis quelque erreur d’analyse que ce soit. Par ailleurs, les recettes libérales ont pu se révéler efficaces dans certains cas, pour certains pays et sous certaines conditions. C’est tout le problème des idéologies et des dogmes : appliquer une seule et même recette à toutes les situations est toujours délicat.
Pour autant, je ne suis pas convaincue qu’un FMI qui serait beaucoup plus pragmatique et qui sortirait d’une idéologie – qu’elle soit interventionniste ou libérale – en essayant de s’adapter au cas par cas serait irréprochable. Aucune situation économique n’est jamais facile à traiter. Il arrive que des solutions puissent s’avérer payantes à long terme mais catastrophiques à court terme, et inversement. Il faut donc bien prendre conscience de la complexité de certaines crises et de la difficulté qu’on peut avoir à les gérer. Qui plus est, il ne faut pas non plus oublier que le FMI n’est pas une institution ex nihilo mais bien une organisation interétatique au sein de laquelle les pays les plus déterminants, pour ne pas dire puissants, sont les pays les plus riches, Europe et États-Unis en tête (qui sont les directeurs du Fonds depuis l’origine ? Des européens…).
La question de la légitimité du FMI est d’ailleurs clairement posée par les pays du Sud ou émergents qui considèrent que la gouvernance du FMI ne reflète absolument plus aujourd’hui les rapports de force au sein de l’économie mondiale. Or, la réforme engagée en 2007/2008 s’avère plus compliquée à mettre en œuvre que prévue. La conséquence en est la création et probablement demain, la montée en puissance d’organisations financières alternatives au FMI tels que les banco del sur, la banque des BRICS ou autres fonds d’investissements… Il sera particulièrement intéressant de voir ces nouvelles institutions à l’œuvre dans les années qui viennent.
Est-il normal de voir le FMI influencer à ce point les négociations en cours avec la Grèce alors qu’il ne détient finalement « que » 21,2 milliards d’euros sur les 312 milliards que doit la Grèce à ses créanciers ? Pourquoi les États européens n’ont-ils pas racheté la dette grecque à 100% afin d’administrer entièrement cette crise ?
N’importe quel créancier, même minoritaire, surveille ses intérêts dans le cadre d’une négociation. En étant partie prenante aux négociations entre la Grèce et ses créanciers, le FMI défend les intérêts de tous ses pays membres, qui ont permis d’apporter ces quelques dizaines de milliards d’aide à la Grèce.
Par ailleurs, ces négociations sont révélatrices de toutes les limites de la construction européenne. Le FMI est très visible dans les discussions car il est un acteur unique, contrairement aux Européens qui apparaissent comme une agrégation de nations souveraines souvent divisées, et non pas comme une Union. Si aujourd’hui ce sont plutôt les États européens membres de l’Eurogroupe qui se chargent des négociations, et non pas les représentants de l’Union européenne, c’est justement parce que chaque État, indépendamment de ses partenaires, souhaite défendre ses propres intérêts en Grèce par rapport à ses électeurs. Les chefs d’État veulent donner l’impression qu’ils ne sont pas prêts à accorder facilement des milliards d’euros pour financer la Grèce, alors même que tous les pays de la zone euro sont surendettés. Renationaliser la dette grecque, voire en effacer une partie, alors même que les fragilités sont encore présentes dans certains pays européens, est très compliqué à faire admettre à sa population quand on est un dirigeant européen. Il suffit de lire ou d’entendre certaines déclarations de leaders politiques européens pour le comprendre, à l’image par exemple des déclarations des dirigeants du SPD allemand ou de leaders politiques baltes.
Il est compréhensible que l’idée même d’une nationalisation de la dette grecque semble scandaleuse au vu de l’état de nos finances publiques. Mais ce que ne disent pas Angela Merkel et François Hollande notamment, c’est que la renationalisation de la dette grecque a été faite en 2010 dans le but de sauver les grandes banques européennes, allemandes et françaises en tête qui détenaient de la dette grecque. C’est finalement la peur d’une nouvelle crise financière autour de la faillite d’une institution financière européenne, le spectre Lehman Brothers en quelque sorte, qui a conduit les États à préférer la renationalisation de la dette de la Grèce.