20.12.2024
Migrants africains : « La France n’aide pas les pays qu’elle devrait aider »
Presse
19 juin 2015
Dans son interview au 20h mardi soir, Manuel Valls a affirmé que pour limiter l’arrivée desmigrants africains venus en Europe pour des raisons économiques, il fallait « un soutien à l’Afrique » (voir vidéo en bas de l’article). N’est-ce pas là un aveu d’échec puisque de nombreux plans de soutien à l’Afrique ont justement été lancés depuis de nombreuses années ?
On peut en effet parler d’un échec. Mais ce n’est pas tant l’échec des mesures d’aide prises par les pays européens, dont la France, qu’un échec sur les zones d’intervention retenues pour ces aides.
C’est-à-dire ?
Plus qu’africain, le problème est sahélien. La zone sahélienne est en effet celle qui concentre le maximum de défis, notamment le réchauffement climatique, l’urbanisation ou la montée de l’intégrisme religieux. Les Etats concernés ne peuvent pas non plus contrôler l’ensemble de leurs territoires, qui sont livrés à toutes sortes de trafic et sur lesquels viennent se greffer les groupes jihadistes.
Sur le plan structurel, les différences s’accroissent également entre l’Europe et cette Afrique sahélienne. La première, stable démographiquement, vieillit. La seconde, qui n’est toujours en phase de transition démographique, se rajeunit (7 enfants par femme). Cela ne devrait pas se modifier avant 2050, au mieux. D’ici là, comment faire coexister ces deux ensembles ? Certes, l’Europe a besoin de population active et de jeunes pour financer ses retraites. Mais, contrairement à l’époque des 30 glorieuses, les politiciens européens ne peuvent plus dire que leurs pays ont besoin de main-d’œuvre africaine en raison de la mauvaise perception qu’ont aujourd’hui les Européens de l’Afrique.
Si ces défis ne sont pas relevés, alors il y aura une croissance de la migration. Le problème, c’est qu’en dehors de la lutte sécuritaire, l’action française -pour ne parler que de la France – ne va pas vraiment vers ces pays du Sahel.
Où va-t-elle ?
La France a fait un choix politique. Celui de délaisser ces zones du Sahel, peu rentables, en dehors de l’uranium du Niger, exploité entre autres par Areva. A la place, nous préférons concentrer notre aide sur les pays à revenus intermédiaires et qui ont des ressources, comme le Cameroun ou la Côte d’Ivoire par exemple.
C’est un raisonnement cynique de la part des gouvernements.
Tout à fait. Et comme nous pouvons le voir actuellement, c’est une erreur. Cela a par exemple contribué à l’ouverture d’écoles coraniques plutôt que d’écoles locales dans cette région sahélienne. Or le futur de la France et de l’Europe dépend du Sahel. Investir en Afrique, c’est important. Mais c’est bel et bien au Sahel qu’il faut le faire. Pour ne rien arranger, n’oublions pas non plus que le peu d’aide que nous fournissons à ces pays n’arrivent pas forcément aux populations qui en ont besoin car elle est détournée auparavant.
Comment éviter ce détournement ?
Il faut lancer des projets qui aillent directement aux populations, notamment dans les zones rurales pour permettre à leurs habitants d’accéder à l’eau, à l’électricité, et contribuer aux développements du secteur privé pour créer une dynamique de l’économie.
Plus globalement, peut-on conditionner l’aide à un meilleur contrôle des frontières, comme le réclament certains en Europe ?
Pour éviter les migrations, il est préférable de réfléchir à des projets de co-développement qu’agir sur le contrôle aux frontières. Sur ce point, il faut bien distinguer les réfugiés, contraints à l’exil et qui tenteront d’arriver en Europe quoi qu’il arrive, et les migrants. Pour ces derniers, le voyage coûte environ 2.000 euros par personne auprès des passeurs. Les plus pauvres sont donc exclus de fait de ces migrations. Mais comme la frontière pourra toujours être contournée à un moment ou à un autre, vous ne stopperez pas les départs. Ceux qui migrent seront en effet toujours capables de mobiliser de l’argent.
Quelles conditions imposées dans ce cas en échange de l’aide ?
Il faut surtout la conditionner à des résultats économiques, à l’instar du Plan Marshall pour l’Europe après la Seconde guerre mondiale. A l’époque, les Etats-Unis n’avaient rien imposé et n’étaient pas arrivés en disant « voici ce que vous allez faire ». L’argent doit ainsi être débloqué au fur et à mesure, avec comme principal critère de réussite l’augmentation de la productivité et la baisse de la corruption. Bref, pour mettre fin aux migrations, il faut mener des politiques sur le très long terme. Et ce n’est d’ailleurs pas forcément une politique d’Etat à Etat qui marche le mieux.
Vaut-il mieux prêter de l’argent, à rembourser par la suite, le donner, ou vendre à bas coût ?
Le principe, c’est d’aider à la création des dynamismes locaux. En dehors des situations d’urgence comme les catastrophes, où le don est indispensable, il est toujours préférable qu’il y ait un rapport à l’argent. Prenons par exemple l’aide alimentaire. Elle peut être vendue à des prix accessibles aux populations, selon leur niveau de vie. Sinon, si elle est donnée, il y a des effets pervers, notamment pour les producteurs locaux qui peuvent se retrouver en situation de faillite.