20.12.2024
Élections municipales espagnoles : un nouveau paysage politique ?
Interview
26 mai 2015
Tout d’abord, il faut préciser que l’Espagne n’est pas la Grèce. Podemos n’a pas gagné de majorité en Espagne, et le parti ne figure d’ailleurs pas dans les statistiques des résultats électoraux publiés par le ministère de l’Intérieur espagnol, puisque les deux candidates, l’une arrivée en tête à Barcelone et l’autre en deuxième position à Madrid, sont des candidates qui représentent des mouvements alternatifs. En effet, dans la plupart des villes espagnoles, Podemos n’a pas été en mesure de présenter des candidats aux élections municipales, mais il a en revanche appuyé des formules issues de la société civile. Ces dernières peuvent d’ailleurs être assez différentes dans leur composition à Barcelone et à Madrid. D’une manière générale, pour les élections régionales Podemos arrive en troisième position. Le Parti Populaire (PP), actuellement au gouvernement national, arrive en premier et les socialistes (PSOE) arrivent en deuxième position. Le résultat de Podemos aux élections régionales est donc le seul qu’on puisse réellement prendre en considération car le parti s’est présenté sous son étiquette. Ce résultat montre effectivement que Podemos est en cours de consolidation, alors que le parti a à peine un an et demi d’existence.
Finalement, le fait intéressant de ces élections municipales est que les électeurs espagnols ont voté pour qu’existent, à côté des grands partis, des forces nouvelles qui permettent de faire passer le message d’un mécontentement face à la situation économique et surtout sociale du pays. Ils ont par exemple privilégié à Barcelone l’élection d’une jeune femme, Ada Colau, qui s’est fait connaitre en présidant une association de défense de personnes expulsées de leur logement. A l’origine sans parti, sa notoriété vient de son action militante lors de la crise immobilière espagnole de 2008. C’est autour de ces questions qu’elle a bâti sa liste électorale, à laquelle s’est effectivement associé Podemos. Mais ce dernier n’est qu’un élément parmi d’autres. Il est pour l’instant difficile de spéculer sur l’avenir et de savoir ce qu’il se passera en fin d’année aux élections générales.
Podemos est un parti caractérisé d’anti-libéral, issu du mouvement des « Indignés » de 2011 en réaction à la crise économique mondiale de 2008. Selon vous, ce parti politique va-t-il s’inscrire durablement dans la politique espagnole ?
Les Indignés ont été à l’origine un mouvement spontané assez composite. Ce mouvement a donné jour à Podemos, mais également à Cuidadanos (« citoyens ») qui est un parti de centre libéral, ainsi qu’à un grand nombre de mouvements associatifs comme celui par exemple d’Ada Colau. Le message qui a été transmis par les électeurs espagnols est celui d’avoir donné un espace qui n’existait pas précédemment, à de nouvelles figures politiques, et peut-être à de nouveaux partis comme Podemos et Ciudadanos. Ce message a été envoyé à la fois au Parti Populaire (PP), qui a perdu 2 400 000 voix par rapport aux élections de 2011, et au Parti socialiste espagnol (PSOE) qui a perdu plus de 670 000 voix. Cela étant, il ne faut pas enterrer ces deux grands partis trop vite dans la mesure où ils ont malgré tout rassemblé 52% des suffrages exprimés. Le principal enseignement et le paradoxe de cette élection est d’avoir fragmenté la représentation politique, fait totalement nouveau en Espagne. Ce qui contraint les uns et les autres à mettre de l’eau dans leur vin et à dialoguer.
En effet, jusqu’à ces dernières élections, le bipartisme était la règle avec une victoire aux élections soit du PP, soit du PSOE. On se trouve désormais face à une situation où les uns et les autres vont être obligés de négocier pour constituer des majorités de gouvernement, ce qui ne sera pas chose aisée. Durant cette campagne électorale, par exemple, les socialistes, qui sont les mieux placés pour bénéficier du changement voulu par les électeurs et qui sont en position de pouvoir diriger six régions sur treize, ont accusé Podemos d’être un parti de populistes. A l’inverse, Podemos, qui est en situation de pouvoir avec les bons résultats à Barcelone et à Madrid des listes qu’il soutenait, a qualifié les socialistes de parti de « la caste ». Pourtant, après s’être envoyé des noms d’oiseaux pendant la campagne électorale, « la caste » et les « populistes » vont être obligés de s’asseoir autour d’une même table pour essayer de trouver des terrains d’entente.
Dans quelle situation économique l’Espagne est-elle aujourd’hui ? Le pays est-il sorti de la crise ?
Tout dépend de ce que l’on entend par sortie de crise. Il est vrai que les indicateurs macroéconomiques sont redevenus positifs ; le marché du logement et des travaux publics a par exemple repris. Mais le changement en ce qui concerne le quotidien d’un espagnol moyen se fait attendre, et peut-être encore pour longtemps, dans la mesure où le taux de chômage reste bloqué à 24% et que la compétitivité nouvelle qui a permis à l’Espagne de retrouver un équilibre, s’est faite sur le dos du social. Aujourd’hui, l’Espagne vend effectivement davantage à l’étranger. Cela est dû, comme dans les autres pays européens, à la dévaluation de l’euro par rapport au dollar, à la baisse des prix du pétrole, mais aussi à la pression exercée sur les salaires et sur la couverture sociale par les différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir depuis 2008, point de départ de la crise. Par conséquent, le sens du vote des Espagnols est que malgré une situation économique en voie d’amélioration, leur quotidien reste difficile. Ils connaissent toujours les mêmes difficultés, surtout en ce qui concerne les jeunes diplômés.