06.11.2024
Le Burundi basculera-t-il à nouveau dans le chaos ?
Interview
22 mai 2015
Les manifestants sont essentiellement les populations jeunes de Bujumbura qui ont l’appui des dix-huit partis d’opposition, relativement unis. On est moins certains qu’il y ait eu d’importantes manifestations dans les zones rurales. Ce sont des jeunes qui refusent principalement ce qu’on appelle, si ce n’est un coup d’État constitutionnel, du moins une manipulation constitutionnelle. Cette dernière tient au fait que le président Pierre Nkurunziza se représente pour un troisième mandat, malgré les dispositions des accords d’Arusha de 2000, réalisés sous l’égide de Nelson Mandela. Ces accords prévoient que seuls deux mandats consécutifs peuvent être effectués par un président. L’argutie juridique utilisée par Pierre Nkurunziza repose sur le fait que pour son premier mandat, il n’avait pas été élu au suffrage universel mais par le Parlement. La Cour constitutionnelle, qui est aux ordres du président, a considéré cette troisième candidature comme valide – le
vice-président de la Cour a d’ailleurs été obligé de fuir suite à cette décision. Par ailleurs, on observe que les manifestations se sont traduites par une très grande violence de la part de la police, qui a tiré à balles réelles sur la foule. On sait également que des milices, manipulées par le pouvoir, sont intervenues auprès des manifestants pour entrainer cette violence. On est donc dans une situation où le mécontentement est croissant. Certains ont à l’esprit les manifestations au Burkina Faso contre la manipulation constitutionnelle de Blaise Compaoré ou encore des exemples de pays où une transition démocratique a pu avoir lieu.
Au vu de l’histoire violente et difficile du Burundi, la confrontation entre les différents groupes ethniques a-t-elle été dépassée ou peut-on craindre de nouveaux affrontements de ce type ?
Il faut savoir que le Burundi a subi les mêmes troubles suite à la disparition du président Cyprien Ntaryamira en 1994. Il y a alors eu des affrontements à caractère ethnique entre les Hutus et les Tutsis, faisant environ 300 000 morts. De 1993 à 2003, le Burundi a traversé une période de très forte insécurité, y compris après les accords d’Arusha signés en 2000. La situation s’était ensuite peu à peu apaisée sur le plan des conflits ethno-régionaux. Ce sont les Hutus qui sont globalement au pouvoir au Burundi, à la différence du Rwanda. Les accords d’Arusha ont fait en sorte que la moitié des responsables soit d’origine Hutu et la moitié des responsables de l’administration de l’armée soit d’origine Tutsi. Les questions ethniques ou religieuses n’étant plus considérées comme des questions importantes, le conflit a pu être dépassé pendant au moins dix ans. Par conséquent, les manifestations récentes n’ont absolument pas eu un caractère ethnique.
Ceci étant, quand on connait l’histoire du Burundi, on sait que la question de l’ethnie peut être instrumentalisée à la fois par le pouvoir politique – c’est à craindre – mais également par les pays voisins. On sait par exemple que des milices Hutus sont très proches des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) en République Démocratique du Congo (RDC). Si jamais des provocations entrainaient la mort de Tutsis, il y aurait immédiatement une intervention de Paul Kagame, actuel président du Rwanda. Inversement, si des Hutus étaient tués, une intervention de la RDC serait également à prévoir.
Lors de la manifestation du mardi 19 mai, des personnalités politiques et des membres de la société civile se sont joints à un rassemblement à Bujumbura. Après un coup d’État raté de l’armée burundaise en date du 13 mai, quid de l’opposition politique ? Un report des élections peut-il permettre un retour au calme ?
L’opposition a été relativement unie jusqu’à présent. Après l’échec du coup d’État, les manifestants ont dans un premier temps été extrêmement prudents et n’ont pas immédiatement organisé d’importantes manifestations. Néanmoins, depuis la reprise du pouvoir par le président Nkurunziza, le mouvement s’est très nettement renforcé avec un nombre d’arrestations important. La police a à nouveau tiré sur les manifestants faisant des morts. La situation n’est pas du tout contrôlée, et l’armée a au départ remplacé la police dans ses fonctions. Cette dernière a désormais repris son rôle mais l’armée reste quant à elle extrêmement divisée et apparait aujourd’hui en retrait. L’incertitude porte sur la position que l’armée adoptera in fine. Ce qui est sûr, c’est que les mouvements sont actuellement en marche et que la stabilité politique du pays est fortement mise à mal.
De son côté, le président a accusé les Shebabs de menacer l’ordre du pays, mais cette déclaration n’a évidemment eu aucune crédibilité auprès des populations. Il a limogé son ministre de la Défense qu’il avait trouvé trop proche des putschistes, ainsi que son ministre des Affaires étrangères, plutôt pour contenter les opinions occidentales. On est donc face à un pouvoir qui renforce son dispositif sécuritaire et annonce qu’il souhaite lutter contre le terrorisme. Par conséquent, il est évident que les élections ne pourront pas avoir lieu si elles se déroulaient dans de telles conditions. Si Pierre Nkurunziza venait à se représenter pour un troisième mandat, il y a selon moi un risque réel de dérive. Quoi qu’il en soit, troisième mandat ou pas, des affrontements importants seront à craindre. Le Burundi a connu des conflits extrêmement violents historiquement et reste un pays vulnérable.
Le plus vraisemblable est que ces élections soient reportées, comme le demande l’Union africaine, les représentants de l’Union européenne ou encore l’opposition. L’idéal serait que le président ne se représente pas et qu’il décide de se retirer, comme Blaise Compaoré l’a fait au Burkina Faso. Il ne faut pas non plus négliger la pression des États voisins dans la mesure où le Burundi fait partie de la Communauté d’Afrique de l’Est et doit tenir compte de l’avis de ses partenaires. Les acteurs régionaux ne seront pas indifférents à l’évolution de la situation et peuvent jouer sur le Burundi pour agir en fonction de leurs propres intérêts. Enfin, il peut aussi y avoir une pression exercée par la communauté internationale ou par les États-Unis. Ces derniers se sont d’ailleurs prononcés en affirmant que le président était légitime à la suite du coup d’État raté du 13 mai, mais ne soutiennent pas pour autant une troisième candidature de Pierre Nkurunziza. Celui-ci a aujourd’hui choisi la méthode forte, malgré les conseils des pays africains et occidentaux. S’il va jusqu’au bout, les violences risquent de resurgir avec une intensité et des effets de contagion au Rwanda et en RDC qu’il est difficile de prévoir.