L'édito de Pascal Boniface

« La conscription en France » – 3 questions à François Cailleteau

Édito
7 mai 2015
Le point de vue de Pascal Boniface

François Cailleteau a été chef du Contrôle général des armées puis Inspecteur général des finances. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « La conscription en France, mort ou résurrection ? », aux éditions Economica.


A l’heure où renait une nostalgie pour le service national, vous montrez qu’il était injuste socialement et inefficace militairement. Pourquoi ?


Le service national était devenu inefficace militairement parce qu’il était trop court, par rapport aux besoins d’une armée aux matériels de plus en plus sophistiqués et de moins en moins nombreux. Si le service était court (dix mois en 1992), c’est parce que le volume de chaque classe d’âge était très supérieur aux besoins des armées. Cela ne laissait le choix qu’entre une brièveté et un taux insupportable d’exemption du service dans un pays aussi attaché à l’égalité, au moins formelle, que la France.
Inefficace aussi parce qu’on ne pouvait envoyer que des volontaires, dont l’expérience prouvait qu’ils ne dépassaient guère le dixième des appelés dans les opérations extérieures (OPEX), alors que ces OPEX devenaient, après la fin du bloc soviétique, l’essentiel des missions des armées.
De plus, il était injuste parce qu’environ 30% des jeunes gens en étaient dispensés ou exemptés, pour des motifs souvent discutables, ce qui donnait à la sélection l’allure, soit d’une loterie, soit du règne de la fraude ou du piston.
Enfin, pour ceux qui étaient appelés, les conditions de service étaient très différentes, allant de l’emploi profitable dans une entreprise à l’étranger à celui de fantassin dans les camps de l’est de la France ou de l’Allemagne, en passant par les « planques » largement répandues dans tout l’appareil militaire. Force était de constater que les emplois les plus doux étaient réservés aux bénéficiaires du capital social (études, relations) et qu’au sein des emplois les plus rudes, à l’exception de quelques volontaires, se concentraient les plus démunis de ce capital (faible niveau scolaire, pauvreté, chômage).


Serait-il matériellement possible de faire renaître le service national ?


Le service national obligatoire et principalement militaire, tel qu’il existait jusqu’en 1997, ne peut matériellement pas être remis en place. Les armées ne disposent ni des casernements, ni des équipements correspondant au volume des armées des années 1990. Il y faudrait un énorme effort financier qui serait en outre un non moins énorme gaspillage.
En effet, en partant de l’hypothèse du maintien de l’interdiction d’employer les appelés non volontaires dans les OPEX (et cette hypothèse peut être considérée comme une certitude), les unités composées d’appelés ne pourraient servir qu’à renforcer, dans les tâches les plus basiques (gardes, patrouilles) les forces de police et de gendarmerie. Leur volume serait considérablement supérieur aux besoins, même avec un service très court et un taux très élevé d’exemptions (un service de quatre mois avec un taux d’exemptions et de dispenses de 40% donnerait un effectif permanent de 70 000 appelés).


Un service national obligatoire et principalement civil pose d’autres problèmes. D’abord, il n’est pas sûr qu’il soit juridiquement possible, dans la mesure où il pourrait être considéré comme un travail forcé, interdit par des conventions internationales signées par la France. A supposer cet obstacle levé, on se heurterait ensuite à la question du volume. D’abord, parce que les jeunes femmes ne pourraient évidemment pas en être dispensées du seul fait de leur sexe. Ensuite, parce qu’il serait difficile de pratiquer de forts taux d’exemptions sur la base de l’aptitude physique, puisqu’on ne pourrait exciper des contraintes de l’activité militaire. Cela exigerait donc de faire faire chaque année un service à quelques 700 000 personnes. Même avec une durée très courte du service (et, plus c’est court, moins c’est utile), une organisation de masse devrait être mise en place. Enfin, il faudrait décider de la nature des activités des appelés à ce service. Il faut qu’elles soient utiles, soit à eux-mêmes, soit à la collectivité. Dans le premier cas, on trouverait principalement le rattrapage de formation, mais peut-il être efficace s’il ne s’adresse pas exclusivement à des volontaires suffisamment motivés ? Dans le second cas, le risque est de faire tenir aux appelés des emplois que devraient tenir des salariés.
Toutes ces considérations conduisent à renoncer à l’idée d’un service national universel (et donc obligatoire), qu’il soit principalement militaire ou principalement civil, et à revenir aux idées de service civil volontaire.


Est-ce la bonne réponse aux défis actuels de la société : absence de cohésion sociale, terrorisme, etc. ?


L’histoire nous montre que c’est la cohésion sociale qui a permis le service militaire universel, et non l’inverse. Il ne faut donc pas attendre d’une forme quelconque de service qu’elle pallie toutes les insuffisances que les familles, l’éducation nationale et la société, dans son ensemble, ont laissé s’installer dans les jeunes générations.
Ceci étant, des formes de service volontaire peuvent être utiles pour aider à l’insertion des jeunes dans la vie active et pour répondre au besoin d’engagement d’une fraction de la population jeune. Elles existent déjà et il s’agit seulement de les développer.
Encore faut-il que ce développement se fasse avec un souci d’efficacité et non avec celui de « faire du nombre ». Il faut s’assurer que les volontaires aient une motivation suffisamment forte. De plus, leur service doit être assez long, assez encadré pour être efficace ce qui suppose qu’il ne soit pas trop fait à l’économie.
Quant à lutter contre le terrorisme, pour l’essentiel, laissons cela aux professionnels. Tout au plus, on peut imaginer une forme de service volontaire qui permettrait d’assurer l’essentiel des missions de garde et de patrouille, actuellement confiées à l’armée de terre, au détriment de la préparation des militaires professionnelles aux OPEX ou à celui de leur repos après ces missions exigeantes.

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