12.11.2024
La défense britannique : d’où viennent les fragilités ?
Presse
31 mars 2015
« Gentlemen, nous sommes à court d’argent. Nous allons devoir commencer à réfléchir ». Ce mot de Churchill, fameux bien que très certainement apocryphe, est souvent cité aujourd’hui par les experts de la chose militaire pour décrire l’état des armées européennes. Celle du Royaume-Uni, pourtant parmi les dernières grandes puissances militaires du Vieux Continent, n’échappe en rien à la règle. L’armée britannique subit la brutalité des réductions budgétaires qui touchent la dépense publique outre-Manche, et qui sont allées jusqu’à forcer le Royaume-Uni, puissance maritime historique, à remiser ses porte-avions. Son budget militaire décline progressivement. Son armée régulière, entre 2010 et 2020, aura perdu quelque 50 000 personnels. Les sorties médiatiques de ses généraux pointent du doigt l’effet de ces coupes brutales sur la cohérence de l’outil de défense britannique. En 2013, le chef d’état-major britannique agitait le spectre d’une « armée creuse » (1), dotée des attributs de la puissance, mais dans l’incapacité de s’en servir. Reste que la fragilité structurelle de l’appareil de défense britannique est peut-être ailleurs. Si le mot de Churchill se prête à l’état de la défense britannique aujourd’hui, ce n’est pas nécessairement le cas de sa conclusion. Plus que les déficits budgétaire ou opérationnel, n’est-ce pas en effet un déficit de réflexion qui mine en dernier ressort l’appareil britannique aujourd’hui ? La mise sur le métier du nouveau livre blanc britannique sur la défense en 2015 doit permettre de pallier certaines de ces incertitudes. Y parviendra-t-elle ? À l’heure actuelle, rien n’est moins sûr.
Un budget et des effectifs en baisse
Le budget de défense britannique demeure aujourd’hui le premier budget européen. Quatre des cinq principales méthodologies de calcul (IISS, OTAN, EDA, EUISS, à l’exception du SIPRI) le placent devant celui de la France (2). Le budget de défense britannique s’élevait approximativement à 57 milliards de dollars en 2013, contre 52 milliards de dollars pour la France, selon le Military Balance. Les dépenses militaires britanniques auraient néanmoins diminué en valeur réelle de 9,1 % depuis 2008 et le début de la crise financière, quand celles de la France sont restées stables (+0,3 %) (3). Les autres sources donnent des chiffres légèrement différents en volume, mais confirment cette tendance dans la durée (4).
Le Royaume-Uni se démène en effet depuis 2008 contre les conséquences conjuguées de la crise financière, d’un important déficit budgétaire et d’années d’une planification militaire destinée en partie à alimenter la base industrielle et technologique de défense nationale, fondée sur le postulat erroné d’une solide croissance économique. L’ensemble de ces facteurs a creusé un trou de 50 milliards d’euros dans le budget militaire britannique. Le livre blanc britannique de 2010 a entériné une baisse de 8 % du budget de défense entre 2010 et 2015. Ces coupes ont encore été revues à la hausse en 2012 et 2013 du fait du contexte économique. La défense devra ainsi économiser 3,4 milliards d’euros (-7,5 %) au titre de la seule année fiscale 2014-2015.
En décembre 2014, l’organe indépendant chargé de superviser les comptes de l’État britannique (Office for Budget Responsibility) s’inquiétait dans un rapport (5) de voir le plan quinquennal du gouvernement de coalition ramener la dépense publique « au niveau des années trente ». Dans le même temps, la part du budget de défense dans la dépense publique britannique n’a pas été aussi basse depuis plus d’un siècle (6), et les experts de débattre pour savoir si elle est à un plus bas historique.
Le rythme de ces réductions budgétaires va aujourd’hui jusqu’à mettre en péril les objectifs du Royaume-Uni au regard des critères de l’OTAN. Au sommet de Newport, destiné en partie à encourager les membres de l’Alliance à stopper l’hémorragie dans leurs budgets de défense, les Alliés se sont à nouveau engagés à « chercher à se rapprocher dans les dix années à venir des 2 % recommandés » de leurs PIB nationaux en matière de dépenses de défense (7). À la suite du sommet cependant, il est apparu que le Royaume-Uni ne serait vraisemblablement pas en mesure de tenir ses propres engagements en la matière, et ce dès 2015 (8). Les chiffres bruts restent néanmoins sujets à interprétation et à récupération politique, et ne se traduisent pas nécessairement par un outil militaire plus efficace, bien au contraire. Ainsi, une augmentation des dépenses militaires, dès lors qu’elle sert les intérêts de la base industrielle de défense sans objectifs proprement stratégiques ou opérationnels, peut se faire au détriment de l’efficacité de l’armée nationale. Il ne s’agit donc pas de s’arrêter aux données budgétaires brutes.
Dès lors cependant que l’on se penche sur la question des effectifs, les tendances semblent en tous points similaires. Sous la contrainte budgétaire, la dernière Strategic Defence and Security Review (SDSR, équivalent de notre livre blanc), publiée en 2010, a prévu une réduction d’effectifs similaire à celle de la France (54 000 personnels). Le nombre de soldats de l’armée britannique devrait donc tomber à moins de 150 000 en 2020, contre 200 000 personnels en France. Les effets s’en font déjà ressentir et la baisse des effectifs crée des difficultés inédites : la Royal Navy a ainsi récemment dû se faire « prêter » des ingénieurs par les gardes-côtes américains (US Coast Guard) (9). Le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, a donc pu s’enorgueillir qu’à l’horizon 2020, la France demeurerait la première armée d’Europe (10).
Des capacités onéreuses, mais d’excellence
La politique britannique en matière de capacités, à première vue, va dans le même sens. Le livre blanc de 2010 opère en la matière des coupes claires, sèches, et à forte charge symbolique. Il prévoit de repousser le renouvellement de la dissuasion nucléaire britannique pour des raisons budgétaires, et de décommissionner nombre de blindés lourds. Il entérine le retrait immédiat des chasseurs Harrier et de l’Ark Royal, seul porte-avions britannique pleinement opérationnel. Il confirme la construction de deux porte-avions à l’horizon 2020, le Queen Elizabeth et le Prince of Wales, mais uniquement car l’annulation de la commande aurait coûté plus cher au ministère que d’en prendre livraison. Le Premier ministre annonce dans la foulée vouloir vendre ou remiser l’un des deux peu après sa mise en service. Il entérine ainsi une vacance capacitaire britannique de dix ans dans le domaine aéronaval : le pays ne disposera pas, jusqu’en 2020, d’un porte-avions capable de transporter des avions de chasse.
La question des porte-avions est compliquée et hautement sensible dans un pays qui se pense encore comme une puissance maritime de premier plan. Ces réductions capacitaires sont délicates, car nécessairement impopulaires politiquement. Pourtant, au-delà des coupes elles-mêmes, c’est davantage la manière dont le gouvernement britannique les met en œuvre qui pose question. La décision avait été prise initialement d’équiper ces porte-avions de chasseurs F-35B à décollage vertical. À la suite du Livre blanc de 2010, le gouvernement a annoncé vouloir renoncer à ce modèle et prendre commande du F-35C conventionnel, qui fonctionne à catapulte. Cette décision pouvait s’expliquer par des raisons opérationnelles valables, puisqu’elle permettait l’interopérabilité avec les porte-aéronefs américains, à un moment où le Royaume-Uni serait dépourvu de la capacité, et permettait aux Rafale français d’apponter sur le porte-avions britannique. Reste que le Premier ministre s’est une nouvelle fois dédit en 2012 pour s’en remettre à la décision initiale d’acquérir des F-35B. De même, David Cameron est revenu en septembre 2014 sur sa décision de remiser le Queen Elizabeth trois ans après sa mise en service, ce que vient de confirmer le Plan d’équipement 2014 (11) publié en janvier 2015 par le ministère de la Défense britannique : les deux porte-avions seront finalement mis en service.
La contrainte économique ne peut expliquer à elle seule la volatilité de la politique de défense britannique, qui tend à ajouter illisibilité et incertitude à l’effet des coupes budgétaires. Elle subit l’impact d’une trop grande sensibilité aux orientations politiques du jour et, conséquemment, d’un manque de vision et de continuité stratégiques.
Ces coupes britanniques dans le domaine capacitaire, opérationnel et budgétaire sont certes critiquables, mais elles ont le mérite d’être assumées. Bien que l’outil militaire français soit confronté à des déséquilibres comparables, de tels choix n’ont pas été faits. L’on s’est borné à éviter les décisions irréversibles et in fine à choisir de ne pas choisir. Il convient enfin de noter que la plupart des équipements britanniques sont aujourd’hui d’une sophistication technologique extrême ainsi qu’en excellent état, quoiqu’ils soient souvent acquis sur l’étagère américaine, onéreux à entretenir comme à utiliser en opérations extérieures, et conçus pour le conflit en Afghanistan.
La question cruciale cependant demeure celle de la logique des coupes capacitaires entreprises depuis la crise, de l’usage des capacités restantes, et de l’utilité des capacités développées aujourd’hui. Le général britannique Sir Rupert Smith formulait ce problème de manière éclairante dans son ouvrage The Utility of Force (12): « Lorsque nous nous sommes déployés dans le Golfe en 1990, nous le fîmes dans des circonstances étrangères aux fondamentaux de la politique de défense britannique depuis la fin des années soixante. Seuls les équipements les plus anciens étaient conçus pour opérer dans le désert. Les acquisitions les plus récentes n’avaient été conçues que pour le Nord-Ouest de l’Europe : ils ne disposaient d’aucune protection contre le sable, nécessité cruciale dans le désert, et s’inscrivaient dans une doctrine d’emploi conçue pour la guerre froide. » Avec la fin du conflit d’Afghanistan, la question se pose à nouveau avec une grande acuité.
La société britannique et la force militaire
Des budgets en berne, des forces qui se dégarnissent, des capacités d’excellence, mais onéreuses : les fragilités actuelles du modèle britannique semblent aisément identifiables. Pourtant, les fragilités les plus structurelles sont peut-être aussi les plus souterraines. Elles concernent la capacité de l’appareil britannique tant à poser la question des fonctions de son outil militaire aujourd’hui qu’à répondre à la question des finalités de l’emploi de la force. Quelle est aujourd’hui l’appétence des populations européennes, et a fortiori de leurs dirigeants, pour l’usage de la force militaire ? Le Parlement britannique, échaudé par les erreurs des campagnes d’Irak et d’Afghanistan, s’est emparé de la question de manière spectaculaire, le 29 août 2013. En opposant son veto au Premier ministre pour la première fois de l’histoire du pays lors du vote sur l’intervention en Syrie, la représentation nationale britannique n’a fait qu’extérioriser le sentiment de war fatigue que les interventions au Moyen-Orient ont exacerbé des deux côtés de l’Atlantique. D’un côté, ces campagnes militaires ont affermi de manière spectaculaire les liens entre la société anglo-saxonne et ses soldats. La frénésie commémorative de la part de l’ensemble de la classe politique et la généralisation du port des poppies (coquelicots) en Angleterre aujourd’hui en témoignent. Concomitamment, le lien entre les populations et l’outil militaire s’est, lui, distendu. La société britannique ne comprend plus clairement à quoi servent la force militaire et les opérations expéditionnaires, et rechigne à y envoyer ses boys.
Un déficit de pensée stratégique
Dans ce contexte, il semble fondamental d’expliciter au mieux les objectifs et les finalités de l’outil militaire national. Mais dans quelle mesure l’appareil britannique est-il réellement outillé pour ce faire ? Le précédent exercice (le livre blanc de 2010) ne s’est pas révélé des plus concluants – il a revêtu un caractère budgétaire plus que stratégique. En guise d’analyse fouillée de l’environnement international et de l’évolution du rôle du Royaume-Uni au sein de celui-ci, il s’est limité à refuser le postulat que l’influence britannique sur le monde puisse être actuellement en déclin (13). C’est la doctrine dite du « no strategic shrinkage » (pas de rétrécissement stratégique) chère à M. William Hague, ministre des Affaires étrangères de l’époque. Le prochain livre blanc britannique peut-il combler ce déficit de pensée stratégique ? Il le pourrait si le problème était exclusivement d’ordre conjoncturel. Cependant, l’appareil institutionnel britannique et les réflexes culturels qui le sous-tendent ne sont pas nécessairement les plus prompts à engager ce type de réflexion stratégique, qui demeure aujourd’hui contre-intuitive.
L’héritage de la Seconde Guerre mondiale subsiste et sert en effet encore de fondement au système d’analyse et de décision politique britannique en matière stratégique. Le dispositif en vigueur au ministère de la Défense (MoD) a encore vocation à répondre, de prime abord, à des besoins politiques : aider au processus décisionnel de la tutelle politique, et mettre en œuvre ses décisions en aval. Il subsiste de ce fait au « MoD » une certaine réticence à l’analyse stratégique dès lors qu’elle est déconnectée des besoins immédiats du politique. Une rationalisation et une consolidation du ministère ont été menées au cours de la dernière décennie qui ont encore rétréci les équipes. En matière de masse critique, le volume des compétences en capacité pure a ainsi diminué au cours de la dernière décennie, même sur les questions cruciales pour les intérêts britanniques (nucléaire, prolifération, contre-terrorisme par exemple). Structurellement, l’expertise du ministère repose donc du point de vue tant thématique que régional sur des équipes resserrées, réactives, qui dépendent de chaînes de décisions courtes et politiques. Elle est ainsi très – voire, à certains égards, trop – consolidée. La majeure partie des budgets et de la matière grise du MoD se concentre à l’inverse sur les questions technico-opérationnelles.
La réflexion de l’armée britannique reste également très liée à celle de son homologue américaine en raison de la dissuasion et de la propulsion nucléaires et de l’échange d’informations entre services de renseignement respectifs. Le versant opérationnel du MoD britannique demeure encore de ce fait l’épicentre de l’influence américaine en Grande-Bretagne. En témoigne l’importation fréquente de concepts opérationnels américains, notamment dans le domaine naval, du From the Sea des années quatre-vingt-dix à la notion de « global commons » aujourd’hui. Dans ses versants tant politique que stratégique, opérationnel, technique et capacitaire, le MoD britannique fonctionne ainsi de manière relativement insulaire, ramassée, et il est peu enclin à l’analyse stratégique abstraite (14).
L’appareil politique de défense au Royaume-Uni se révèle en effet aussi efficace à certains niveaux que limité à d’autres. Son mode de fonctionnement horizontal et compact, fondé sur une culture commune de l’outil, est opérant du point de vue « tactique ». Il a fait ses preuves par le passé, dès lors qu’il s’est agi de réagir promptement aux affaires courantes, et de traiter au quotidien des risques et des menaces. Ce système fonctionne également au plan stratégique, tant que les variables structurantes de l’environnement stratégique ne changent pas démesurément. Mais si l’aspect fonctionnel, politique et ramassé du dispositif ministériel le rend réactif et fonctionnel à court terme, les bénéfices à long terme sont moins évidents.
La nécessité d’une réflexion stratégique à moyen terme
Lorsqu’il s’agit de s’extraire du court terme et de prendre du champ pour prévoir, prévenir ou traiter des grandes ruptures stratégiques, l’outil n’est pas aussi efficace. Lorsque les variables structurantes de l’environnement stratégique se transforment, le MoD peine à remettre en cause ses postulats, ses acquis les plus orthodoxes et les grands principes politiques qui le sous-tendent. Une coupure semble s’être installée entre l’analyse qui s’attache aux questions tactiques, et celle qui s’efforce de réfléchir aux aspects stratégiques, en particulier hors période « SDSR ». Il manque un véritable moyen terme, où la réflexion stratégique rentre dans ses frais en mettant en lien les fins politiques d’un État avec ses moyens militaires. La Commission Défense de la Chambre des communes considère que cette rupture est consommée, même en période « SDSR ». Elle est allée jusqu’à déclarer que ce document usurpait le nom de stratégie et propose de renommer le processus « Defence and Security Review » (DSR), du fait de cette absence de véritable réflexion stratégique (15).
Le système britannique est aussi un système au sein duquel, par nature, les orientations politiques du jour prennent une place conséquente. Il dépend largement de la sensibilité du personnel politique en place, des orientations du Premier ministre, voire du niveau d’intérêt et d’implication de celui-ci dans les questions stratégiques et de sécurité. Or l’exécutif actuel n’est pas porté sur la stratégie. M. David Cameron est un Premier ministre très impliqué sur ces questions, mais qui reste d’une grande sensibilité pragmatique. Or, un dispositif ramassé et fonctionnel, par nature, ne laissera isolément que peu de place à la réflexion stratégique fouillée et prospective. Naturellement, l’ampleur de la réflexion stratégique de l’appareil dans son ensemble s’en ressent. De ce point de vue, le dispositif stratégique britannique sera nécessairement influencé par la modification du rapport de forces politique en mai, lors des élections générales. Il convient enfin de remarquer qu’un tel déficit stratégique rendra forcément le système plus perméable à l’influence de l’industrie, notamment américaine. Le Royaume-Uni subit ainsi les effets de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui la « tyrannie du tactique », tant du point de vue de l’appareil ministériel lui-même que de ses orientations politiques.
Le National Security Council (Conseil de sécurité nationale) et son secrétariat ont été conçus à l’origine pour faire face à ce déficit stratégique. La mise en place de cet organe de haut niveau en 2010 devait permettre au Royaume-Uni de mieux articuler les objectifs politiques et les moyens mis en œuvre, et donc de faire le lien entre les considérations tactiques et leur surplomb stratégique. Le NSC, présidé par le Premier ministre lui-même, n’a pas encore atteint sa pleine maturité, mais il doit à terme doter le Royaume-Uni d’une pensée stratégique propre, soustraite en partie à l’influence américaine et plus imperméable aux demandes politiques à court terme de l’exécutif.
Assurément, sa mise en place marque un progrès par rapport à l’architecture précédente. Il met à l’ordre du jour politique, au plus haut niveau, la question des intérêts stratégiques britanniques à moyen et à long termes.
Dans les faits cependant, il semble s’être mué en organe principalement tactique, permettant à l’exécutif d’analyser et de réagir aux crises de façon ad hoc. Le NSC s’est ainsi réuni un jour sur deux, et au total plus d’une soixantaine de fois, pendant la crise en Libye en 2011. Inversement, il n’y a pas eu en son sein en 2014 de discussion de haut niveau sur les conséquences d’une éventuelle indépendance écossaise sur les capacités de dissuasion britannique, ou sur l’effet à long terme de la réduction massive des effectifs dans l’armée britannique.
Il s’agit là d’un dilemme que connaissent de nombreux pays européens aujourd’hui. La tyrannie du tactique, dont la pression est plus forte encore en temps de disette économique et à l’heure de la rétractation brutale du temps politique et médiatique, rend plus difficile la mise en place d’une réflexion stratégique nationale viable. Les contraintes financières et l’influence des intérêts industriels se substituent alors de façon plus ou moins progressive et évidente à la réflexion stratégique et aux objectifs politiques à long terme.
Le Royaume-Uni demeure une nation dotée d’une culture stratégique forte, qui est attachée à son armée et dont l’outil militaire est avec celui de la France le plus développé d’Europe. Cependant, le pays ne laisse pas d’être confronté aux déséquilibres qui affectent les armées du continent. Ces fragilités se conjuguent sur le plan tant budgétaire que capacitaire et opérationnel. Mais la fragilité la plus essentielle est peut-être aussi aujourd’hui la plus souterraine, pour ce qu’elle dépend de ressorts essentiellement culturels et politiques. Il s’agit de la capacité du Royaume-Uni à mener une réflexion stratégique qui permette précisément de repenser à long terme faiblesses capacitaires et déséquilibres opérationnels, afin d’adapter l’outil de défense britannique à l’environnement stratégique byzantin du XXIe siècle.
(1) Annual Chief of the Defence Staff Lecture 2013, Royal United Services Institute, 18 décembre 2013.
(2) Voir sur ce point la comparaison des budgets et des méthodologies dans O. de France et C. Quain, « Dépenses militaires dans l’Union européenne », Yearbook of European Security, European Union Institute for Security Studies, version francaise, 9 septembre 2014, p. 65.
(3) International Intitute for Security Studies, Military Balance 2014, p. 72.
(4) Voir « Base de données de l’EUISS sur les dépenses militaires », in Yearbook of European Security, p. 99.
(5) Office for Budget Responsibility, Economic and Fiscal Outlook, décembre 2014.
(6) Financial Times, « UK Government Spending: Back to the Future », 26 décembre 2014.
(7) Déclaration du sommet du Pays de Galles, publiée par les chefs d’État et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue au pays de Galles les 4 et 5 septembre 2014, §14.
(8) Malcolm Chalmers, The Financial Context for the 2015 SDSR: The End of UK Exceptionalism?, septembre 2014.
(9) Deborah Haynes, « US Coast Guard fills Royal Navy engineering gap », The Times, 3 octobre 2014.
(10) Le Figaro, 25 novembre 2013.
(11) www.gov.uk/government/publications/the-defence-equipment-plan-2014.
(12) General Sir Rupert Smith, The Utility of Force: The Art of War in the Modern World, Londres, Allen Lane, 2005, p. 10.
(13) Nick Witney, The Demilitarisation of Europe, p. 5.
(14) « The operating model [of the Ministry of Defence] is based on: simple structures;[…] strong organisational leadership, coupled with practical business skills; […] removing needless process and flushing out bureaucracy. », in MoD, How Defence Works, septembre 2014, p.6
(15) Towards the next Defence and Security Review: Part One. Septième rap-port de la session 2013-2014, House of Commons Defence Committee, Volume II, Londres, décembre 2013, p. 6.