20.11.2024
Elections législatives au Royaume-Uni : les enjeux d’un scrutin imprévisible
Interview
4 avril 2015
Du point de vue de la narration politique, David Cameron se targuera d’avoir pris les rênes d’un pays aux finances exsangues en 2010 et de l’avoir remis sur le droit chemin du point de vue économique. Le Royaume-Uni a retrouvé sous son égide la route de la croissance, le chômage s’est résorbé et les conservateurs se sont fait forts d’avoir réduit le déficit de moitié. Cela au prix de coupes sèches en matière de service public qui ont eu un impact important au niveau local, et ont accru la précarisation de la frange la moins protégée des travailleurs.
Cette rhétorique basée sur les sacrifices opérés en période de crise économique recueille un certain écho au sein de la population britannique. David Cameron rejoue dans l’inconscient national la posture du leader qui ne s’est pas démonté face aux décisions difficiles et a priori impopulaires mais nécessaires pour le redressement du pays. La bonne santé économique que connait aujourd’hui le Royaume-Uni justifiera dans l’esprit du Premier ministre le caractère radical de ces mesures.
David Cameron demande aujourd’hui aux électeurs de lui donner le temps de transformer l’essai, et de tirer profit eux des décisions de son premier quinquennat. A voter travailliste à ce moment d’inflexion, selon lui, les électeurs risquent de rouvrir un cycle d’emprunts et de déficits, et de ne pas tirer les bénéfices de l’austérité, et in fine de faire du Royaume-Uni un pays « aussi mauvais que la France » (Labour will make us as bad as France, tribune de D. Cameron dans le Telegraph du 22 mai 2015).
Ces élections sont marquées par un résultat qui s’annonce très serré et par l’émergence de partis « secondaires » qui semble avoir mis fin au bipartisme traditionnel. Comment expliquer ce morcellement sans précédent de l’électorat ? Ce phénomène peut-il affaiblir le système britannique, conçu pour assurer la majorité d’un des deux grands partis ?
Effectivement, les élections britanniques du 7 mai prochain s’annoncent probablement comme les plus incertaines depuis 1974. Les sondages indiquent que les travaillistes et les conservateurs – les deux partis majoritaires du pays – sont au coude à coude rassemblant chacun un gros tiers des voix. La seule certitude à l’heure actuelle est probablement que les conservateurs n’auront pas de majorité de gouvernement. Pour l’obtenir, il est nécessaire d’occuper trois cent vingt-six sièges au Parlement. N’ayant pas réussi à obtenir de majorité aux élections précédentes, les conservateurs avaient dû mettre en place une coalition avec les libéraux-démocrates. Après cinq années de réduction de la dépense publique, il apparait donc peu probable qu’ils réussissent à obtenir les sièges nécessaires à cette majorité, là où ils avaient échoué en 2010.
Cela ouvre donc un champ des possibles assez large dans la mesure où il y a trois formations politiques qui peuvent légitimement jouer le rôle de faiseurs de rois. Les libéraux-démocrates, qui sont retombés sous les 10% d’intentions de vote alors qu’aux précédentes élections, ils étaient au-delà des 20%. La popularité du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) semble en repli à l’approche des élections mais l’on peut malgré tout s’attendre à des résultats beaucoup plus importants que lors des élections de 2010, lorsqu’ils n’avaient alors recueilli que 3% des sondages. Enfin, le Parti national écossais (SNP) pourrait obtenir une cinquantaine de sièges au Parlement.
Le système britannique, basé sur un mécanisme appelé « first-past-the-post », est assez particulier et favorise les grands partis. Il peut y avoir une différence assez importante entre les voix que l’on recueille et les sièges que l’on obtient au Parlement. C’est un système électoral qui favorise la stabilité dans un paysage politique caractérisé par le bipartisme. Avec l’éclatement du paysage politique, aujourd’hui, il risque de déboucher sur un gouvernement relativement instable. Il est possible que le UKIP obtienne assez de sièges pour entrer dans une coalition avec les conservateurs britanniques, tout comme il est possible et même probable que le SNP recueille assez de sièges pour pouvoir prétendre entrer dans une coalition avec les travaillistes. Les libéraux-démocrates, du fait du fort ancrage local dont ils disposent encore, peuvent également à nouveau être faiseurs de rois. Les Verts, quant à eux, ont moins de chance de se démarquer à l’issue du scrutin.
Un des terrains d’affrontements de cette élection est le choix de rester ou non au sein de l’Union européenne. La question européenne et sa prise en otage par les deux grands partis est-elle selon vous l’enjeu central de cette élection ? Une sortie de l’Union Européenne du pays est-elle plausible ?
En fait, la question européenne en tant que telle, dans sa spécificité, n’est pas au centre de l’élection. Ce sont les questions d’emploi, de croissance ou d’immigration qui captent l’attention. La question européenne ne devient un enjeu que lorsqu’elle est phagocytée par ces différents thèmes domestiques, et elle n’est donc jamais prise véritablement en elle-même.
La City est favorable au maintien dans l’Union pour des raisons économiques et financières. De son côté, le parti UKIP a réussi à créer un amalgame au sein de l’opinion publique en liant de façon étroite le thème de l’immigration avec celui de l’Union européenne et de l’espace Schengen. Par ce tour de passe-passe, la question européenne est ainsi interprétée en fonction d’un spectre strictement domestique, et au prisme presque exclusif du débat intérieur.
Si l’on se place dans le cas plausible où aucun des partis n’acquiert de majorité de gouvernement à l’issue du scrutin, on peut envisager différentes configurations possibles sur la question européenne. Dans le cas d’une coalition entre les conservateurs et le parti UKIP, le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne risque d’être avancé en 2016 au lieu de 2017. Or il est aujourd’hui impossible de prévoir dans quel sens les conservateurs feront campagne : en fonction des concessions que David Cameron peut obtenir auprès de ses partenaires européens, il peut aussi bien faire campagne pour la sortie ou le maintien du pays dans l’Union.
La deuxième configuration envisageable est une coalition entre les travaillistes et les libéraux-démocrates. Aucun de ces deux partis n’est favorable à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et à la tenue d’un référendum, sauf en cas de transfert de pouvoirs supplémentaire vers Bruxelles.
La dernière possibilité – et la plus ubuesque – est une coalition entre les travaillistes et le SNP. Dans un tel cas de figure, le Premier ministre deviendrait Ed Miliband son numéro 2 serait Alexander Salmond, le leader du SNP. On se retrouverait dans une situation où le Premier ministre adjoint du Royaume-Uni n’aurait eu de cesse de plaider ces derniers mois pour un démantèlement du Royaume au titre de l’indépendance de l’Ecosse.
Ces conséquences restent hypothétiques à l’heure actuelle, parce que la campagne ne fait que commencer et parce que nul ne peut prévoir les conséquences politiques des coalitions gouvernementales. Ces configurations sont très différentes les unes des autres, et semblent pouvoir basculer sur un coup de dés et un tour de négociation – pourtant elles auront chacune en réalité des conséquences de fond très importantes sur l’avenir du Royaume Uni et sur l’avenir de sa relation avec l’Union européenne.