ANALYSES

Accord-cadre sur le nucléaire iranien : une étape historique ?

Interview
3 avril 2015
Le point de vue de Thierry Coville
Un accord-cadre a été signé dans la nuit du 2 au 3 avril à Lausanne entre le P5+1 et l’Iran après huit jours de négociations intenses. Quelles sont les prochaines étapes ? Peut-on s’attendre à une levée rapide des sanctions ?

La prochaine étape est d’arriver à retranscrire cet accord-cadre dans le détail. Cette étape ne sera pas forcément plus technique que celle qui vient de s’achever puisqu’on peut encore s’attendre à des négociations intenses entre les parties. Même si les grandes lignes ont été tracées, ce ne sera sans doute pas plus facile de finaliser l’accord et les négociations continueront à être intenses. Chaque camp va encore tenter, dans l’application, de prendre l’avantage . Néanmoins, une grande partie du chemin a été fait et il semble désormais impossible qu’une des deux parties prenne le risque de remettre en cause l’accord qui vient d’être signé et fasse marche arrière dans les négociations. A priori, on peut penser qu’il y aura bel et bien un accord définitif d’ici la fin juin.
Si c’est effectivement le cas, un certain nombre de sanctions bilatérales américaines et françaises devraient être abrogées dès que l’Agence Internationale de l’Energie Atomique aura certifié que l’Iran respecte ses engagements (ce qui peut prendre près de six mois). Côté américain, il reste toujours le problème des sanctions votées par le Congrès qui ne peuvent être suspendues que par Barack Obama et qui ne pourront être annulées que par le Congrès lui-même. L’incertitude concerne en partie le résultat des élections présidentielles américaines qui auront lieu en 2016. Si le futur président des États-Unis décidait de ne plus suspendre ces sanctions, l’accord avec l’Iran tomberait à l’eau. Cette procédure est un élément qui dépend uniquement de la Constitution des États-Unis, Barack Obama ne peut donc rien y faire. En revanche, si l’application de l’accord se passe bien, on peut penser qu’il sera difficile de justifier une non-levée des sanctions, quelle que soit la tendance politique de la future présidence et de la majorité au Congrès américain.
Il y a également la question des sanctions mises en place par les Nations unies. Les Iraniens, pour des raisons symboliques voulaient que ces sanctions soient levées immédiatement. Or, suite à l’accord, il a été décidé qu’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité endossera le Plan global d’action conjoint (décidé à Lausanne), mettra fin à toutes les résolutions antérieures relatives au nucléaire et intégrera certaines mesures restrictives pour un laps de temps mutuellement agréé. Ceci signifie donc que si l’essentiel des sanctions votées par l’ONU seront supprimées, certaines mesures restrictives concernant des technologies nucléaires duales seront maintenues durant une certaine période.

Les réactions suite à l’aboutissement positif de huit jours de négociations pour clore ce dossier iranien de douze ans sont diverses. Tous les négociateurs se disent très satisfaits de cet accord, sauf la France et Federica Mogherini, responsable de la diplomatie européenne, qui se montrent beaucoup plus prudents. Comment expliquer le comportement de la France durant les négociations et cette ligne dure qu’elle a choisi d’adopter ?

Il est vrai que le contraste entre la réaction notamment américaine et la réaction française est vraiment frappant. Cet accord est positif et il porte sur un dossier qui empoisonne les relations internationales depuis au moins 2002. Si on examine le fond de l’accord, on se rend compte que les deux parties ont fait des concessions. L’attitude de la France à cet égard est donc effectivement questionnable. Les explications sont toujours les mêmes. Je pense qu’il y a une ligne néo-conservatrice, née sous la présidence de Nicolas Sarkozy, qui existe aux Affaires étrangères et qui, malheureusement, continue sous François Hollande. Il me semble que c’est regrettable. Par ailleurs, ce comportement peut s’expliquer en raison de nos liens commerciaux et stratégiques avec l’Arabie saoudite et puis, évidemment, notre relation historique avec Israël.
La préoccupation partagée par beaucoup d’États, dont la France, est d’éviter la prolifération nucléaire au Moyen-Orient, mais cette stratégie française ne me parait pas à la hauteur des enjeux. Nombreux sont ceux qui s’accordent aujourd’hui à dire que la stabilité au Moyen-Orient dépend du règlement de cette crise et de la réinsertion de l’Iran dans le jeu diplomatique régional. Le retour d’un dialogue américano-iranien est très important.
Ce qu’on peut regretter, c’est cette absence de vision politique de la France. Cette dernière adopte une vision de court terme et bien trop technique. La société iranienne s’est modernisée depuis la révolution et cet accord va lui permettre de respirer. Il va favoriser les forces modérées en Iran et peut permettre à la société civile d’acquérir un petit peu plus de pouvoir politique et économique. Tout cela est donc positif pour l’Iran, au premier chef, mais également pour la région toute entière. Autant en 2002-2003, la France a joué un rôle de médiateur entre l’Iran et les États-Unis, quand les trois ministres des Affaires étrangères français, anglais et allemand – respectivement Dominique de Villepin, Jack Straw et Joschka Fisher – sont allés négocier avec Téhéran. Autant la France est désormais devenue celle qui joue le rôle du « dur » et il me semble que cela affaiblit notre influence en Iran. Même si ce n’est pas l’aspect le plus important, j’espère que cela ne nous pénalisera pas sur le plan économique puisqu’il est clair que ce positionnement peut limiter les chances des entreprises françaises d’obtenir de grands contrats lors de négociations avec l’Iran.

On a assisté à des scènes de liesse en Iran suite à l’annonce de cet accord qui, à terme, pourrait permettre à l’Iran d’être réintégré au sein de la communauté internationale. Qu’en est-il du débat interne sur ce dossier côté iranien ? Peut-on considérer cet accord comme une victoire des modérés sur les radicaux ?

Hassan Rohani a été élu sur un programme électoral où il revendiquait sa volonté de régler la question nucléaire iranienne par les négociations afin d’obtenir une levée des sanctions. Cet accord est donc très clairement une victoire pour Rohani et la ligne politique qu’il a défendue. Le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, doit également être associé à cette victoire.
Cela étant dit, il faut bien comprendre que les choses ne sont pas aussi simples en Iran. Il y a effectivement, au sein du pays, une lutte politique importante entre des forces modérées et des forces plus radicales. Ces dernières n’ont à mon sens pas du tout l’intention de hisser le drapeau blanc face à cette victoire. Les radicaux voudront certainement tout faire pour en limiter l’impact politique. Ils ont, par exemple, choisi de porter un radical à la présidence de l’Assemblée des experts, assemblée qui a pour mission d’élire un nouveau guide si jamais celui-ci disparaissait. Les radicaux contrôlent également le Parlement. Ils feront à mon avis tout ce qui est en leur pouvoir pour bloquer les tentatives de réformes d’Hassan Rohani dans les domaines économiques et éventuellement dans le domaine des droits de l’Homme. Il faut donc s’attendre à ce que la lutte politique continue en Iran, ce dont Hassan Rohani est parfaitement conscient.
Hélas, le succès des réformes dépendront de l’habileté politique de Rohani – dont il sait souvent faire preuve – pour à la fois imposer son point de vue tout en essayant de contourner les obstacles qui se présentent à lui. Le rôle du Guide va sans doute être déterminant dans cette lutte politique. Il a participé directement aux négociations sur le nucléaire et cette implication est positive. Cependant, Ali Khamenei a quand même un positionnement politique très conservateur. Il semble donc peu probable qu’il soutienne Hassan Rohani dans des efforts d’ouverture économique et politique de l’Iran.
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