18.11.2024
Élections en Asie centrale : à quand un renouveau politique ?
Interview
31 mars 2015
L’Ouzbékistan est un régime autoritaire, où la presse n’est pas libre, l’opposition inexistante et l’appareil sécuritaire très développé. Il y a certes des élections (présidentielles en 2000 et 2007 par exemple) mais leur résultat est invariablement connu d’avance. Islam Karimov est arrivé à la tête du pays en 1989, quand il est devenu premier secrétaire du Parti communiste ouzbek. Il n’a jamais quitté le pouvoir depuis. Le pays a connu quelques soulèvements et manifestations, notamment en 2005 à Andijan débouchant sur le massacre de 187 personnes selon le gouvernement (et de plusieurs centaines selon les ONG sur place), tuées par les forces de police. Mais globalement, la main de fer de Karimov a permis une certaine stabilité.
Toutefois, Islam Karimov est malade, commence à atteindre un âge respectable et les rumeurs concernant sa succession sont incessantes depuis maintenant plusieurs années.
Par exemple, le pouvoir avait décidé en 2012 de repousser la date des élections présidentielles de décembre 2014 à mars 2015, sans réellement justifier ce report à l’époque. Ce type d’évènement alimente les rumeurs sur un retrait d’Islam Karimov du pouvoir, d’autant que ces dernières années, il a accordé davantage de pouvoirs au Parlement et au gouvernement. Sa fille Gulnara Karimova avait été pressentie pour lui succéder jusqu’à ce qu’elle tombe en disgrâce en raison de luttes internes au pays et des autres procédures judiciaires dont elle fait l’objet, notamment en Europe.
Quelle est la place de l’Ouzbékistan dans la région ?
Chaque pays de la région a son identité et occupe une position particulière dans le paysage centre-asiatique. L’Ouzbékistan est le pays le plus peuplé avec environ trente millions d’habitants. C’est le seul pays qui possède des frontières communes avec tous les autres États de la région. L’Ouzbékistan a par ailleurs une armée relativement importante par rapport à ses voisins avec un appareil sécuritaire assez développé. Quand il proclame son indépendance en 1991, il détient un potentiel économique certain de par sa centralité dans la région, et notamment dans le secteur du coton, dont il est l’un des premiers producteurs mondiaux.
C’est pourtant le Kazakhstan qui, surtout ces dix dernières années, est monté en puissance, à la fois sur le plan politique et économique. Son président, Noursoultan Nazarbaev, a fait des choix de développement plus avisés, notamment en s’ouvrant à l’étranger, en partie grâce au secteur florissant des hydrocarbures. De son côté, Islam Karimov a été un peu moins éclairé et un peu plus imprévisible dans ses relations avec ses partenaires, en modifiant ses alliances régionales (notamment dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qu’il quitte une première fois en 1999 puis une seconde fois en 2008, après s’être intégré entre temps à l’organisation concurrente GUAM).
L’Ouzbékistan entretient des relations quelque peu houleuses avec la Russie et s’est rapproché des États-Unis avec la guerre en Afghanistan, notamment grâce à des accords signés pour favoriser le retrait des troupes américaines du pays. Il faut cependant noter qu’en décembre dernier, Islam Karimov a effectué des gestes positifs envers Vladimir Poutine, signe d’un rapprochement éventuel entre les deux pays mais qui reste néanmoins à préciser.
D’autre part, l’Ouzbékistan est actuellement en froid avec le Tadjikistan, ce dernier ayant pour projet de construire un barrage en amont des grands cours d’eau qui irriguent les champs de coton ouzbeks. Tachkent essaie donc de faire pression sur Douchanbé pour empêcher la création de ce barrage.
Enfin, des émeutes ethniques ont eu lieu, notamment en 2010, entre les populations ouzbeks et kirghizes dans le sud du Kirghizstan. L’Ouzbékistan avait choisi de ne pas intervenir à l’époque. Il reste aujourd’hui malgré tout des tensions entre les deux communautés dans la vallée du Ferghana.
Initialement prévue en décembre 2016, l’élection présidentielle du Kazakhstan a été avancée au 26 avril 2015. Quelles sont les raisons qui justifient ce scrutin anticipé ? Vous semblent-elles recevables ?
Il y a plusieurs hypothèses évoquées à ce sujet. L’année 2014 a été assez difficile pour le Kazakhstan alors que le pays bénéficiait d’une croissance confortable jusqu’alors. Les sanctions contre la Russie suite à la crise ukrainienne ont impacté l’économie kazakhe, tout comme la chute des cours du pétrole au niveau mondial, le Kazakhstan étant un exportateur important de gaz et de pétrole. Le pays a donc subi un contrecoup économique assez fort, engendrant quelques tensions sociales. Par conséquent, Noursoultan Nazarbaev a choisi de remettre au goût du jour une technique qu’il avait déjà expérimenté au début de la crise économique de 2008-2009, à savoir convoquer une élection anticipée pour rasseoir sa légitimité, s’assurer du soutien de ses électeurs et tenter de rassembler le pays pour éviter les tensions.
Il est certain que ce ne sera pas une solution à long terme, puisque Noursoultan Nazarbaev ne pourra pas convoquer d’élections anticipées dès qu’un risque d’instabilité au sein du pays s’installera, d’autant plus que ce nouveau mandat sera certainement son dernier. En effet, il est, comme son homologue ouzbek, lui aussi malade.
Un élément nouveau a toutefois surpris les observateurs durant cette campagne. Il a déclaré, lors d’un discours devant son parti, le 11 mars 2015, qu’il était temps de transférer un peu plus de pouvoirs au Parlement et au gouvernement. Par ailleurs, il a reconnu dans une interview qu’il était à la tête du Kazakhstan depuis de nombreuses années et qu’il serait « temps de changer de décor ». Il a également fait le choix de retarder son annonce de candidature et a paru hésitant sur ses intentions. Il semble donc préparer les esprits au fait qu’il ne sera pas éternel, ce qui est une première depuis plus de vingt-cinq ans. La succession commence à devenir un peu plus palpable, même s’il n’y a aucun candidat réel qui se dégage des autres. Il y aura probablement des luttes d’influence entre les différentes sensibilités de la scène politique kazakhe et surtout entre les différents intérêts économiques. En théorie et au vu des propos tenus par Nouroulsan Nazarbaev, les questions de successions devraient se poser de façon de plus en plus prégnantes dans un futur assez proche.
Les enjeux de la succession sont à peu de choses près les mêmes au Kazakhstan et en Ouzbékistan. La question est de savoir comment succéder à des leaders qui ont quasiment fondé leur pays dans leur version moderne, et qui ont empêché toute opposition et toute formation de leaders compétents depuis vingt-cinq ans. Ils ont chacun favorisé les petites inimitiés entre élites afin de « diviser pour mieux régner ». L’enjeu est d’envisager comment les pays vont pouvoir s’adapter à ce nouveau contexte sans céder à l’instabilité, dont les causes peuvent être multiples (luttes de pouvoir entre successeurs potentiels, tensions sociales, extrémisme religieux, etc.). Le futur de l’Afghanistan n’est pas certain non plus, et pourrait influer sur la stabilité et la sécurité des pays centre-asiatiques. Les prochains mouvements au sein des scènes politiques à la fois ouzbek et kazakhe seront donc à observer attentivement.