ANALYSES

Nigeria : quels sont les enjeux des élections ?

Interview
27 mars 2015
Le point de vue de Samuel Nguembock

Les élections nigérianes auront lieu ce 28 mars. Les deux candidats, Goodluck Jonathan et Muhammadu Buhari ont symboliquement signé un accord pour respecter les résultats du scrutin et éviter les violences entre leurs militants. Peut-on penser que ces élections se dérouleront dans de bonnes conditions ?


On peut s’attendre à ce que les élections se déroulent dans des conditions relativement bonnes, mais il faut rester extrêmement prudent. Nul ne peut prévoir ce qui se passera demain ou après les élections. La signature de l’accord de paix a été parfaitement admise par les deux candidats. Néanmoins, il n’est pas sûr que les partisans des deux camps suivent cet accord, et c’est là le principal défi à relever. Il faut se rappeler qu’après les élections de 2011, la défaite de M. Buhari avait conduit ses partisans à violemment contester le résultat du scrutin. Par ailleurs, le 25 mars, l’éligibilité de M. Buhari a été mise en cause et pourrait invalider sa candidature. La Haute cour fédérale du Nigeria a décidé de se prononcer sur cette question le 22 ou 23 avril prochain. C’est également un élément qui conditionnera la situation post-électorale. Si Muhammadu Buhari est reconnu comme disqualifié, nul ne sait ce que le Nigeria pourra connaitre. Je ne saurais dire si l’accord sera respecté ou non, mais en tout état de cause, cette élection va se dérouler dans un climat politique, social, économique et sécuritaire tendu. Donc tout est possible.


Mise à part la lutte contre Boko Haram, quels sont les défis internes auxquels le nouveau président devra faire face ?


Il y a deux défis majeurs auxquels le nouveau président devra faire face, sous peine de voir surgir de possibles crises envahir le pays.


Il y a d’abord le défi économique. Les revenus du pétrole du Nigeria ont diminué de près de 50% depuis le mois d’août 2014 suite au contrechoc pétrolier que l’on observe sur la scène internationale. Les perspectives et les indicateurs économiques ne sont pas du tout rassurants pour 2015, voire 2016 – année qui sera conditionnée par le processus électoral actuel. Il va falloir, pour les candidats à l’élection présidentielle, assurer la capacité du pays à redresser son économie nationale. Par ailleurs, quarante millions de jeunes nigérians sont sans emploi et plus d’un tiers de la population se trouve dans une situation de précarité. D’après les institutions internationales, plus de 60% de la population nigériane vit sous le seuil de pauvreté. Le défi économique est donc très important à relever. Des réformes ont d’ores et déjà été engagées par le gouvernement de Goodluck Jonathan pour diversifier l’économie et ainsi permettre au Nigeria d’être de moins en moins dépendant de ses revenus liés au pétrole, qui représente aujourd’hui 70% du budget de l’État fédéral. Ces réformes n’ont malheureusement pas porté leurs fruits, mais elles peuvent malgré tout être portées à l’actif de l’actuel président. Par ailleurs, même si le Nigeria est devenu la première puissance économique du continent, passant devant l’Afrique du Sud, cela n’a pas permis de mettre en place des mécanismes ou des politiques suscitant l’adhésion de toute la population. La croissance économique du Nigeria n’est pas du tout inclusive, les emplois manquent et la population arrivant sur le marché du travail ne trouve pas une offre capable d’endiguer la montée du chômage. Il faut donc mettre en œuvre des mesures drastiques, des politiques volontaristes afin d’assurer l’équilibre de la nation voire la cohésion nationale.


Le deuxième défi est celui de l’identité nationale. Les musulmans du Nord et les chrétiens du Sud ne sont pas tous satisfaits de la gestion du pouvoir administrée par Goodluck Jonathan. Néanmoins, il faut prendre cette réalité identitaire et interconfessionnelle avec beaucoup de prudence aussi. Il y a, d’un côté comme de l’autre des soutiens avérés et des mécontents. Il existe aussi une capacité à endiguer cette lutte qui dépasse le cadre interconfessionnel. Que ce soit dans le camp de Goodluck Jonathan ou dans celui de Muhammadu Buhari, l’on observe, au sein des équipes, aussi bien des chrétiens que des musulmans. Donc l’enjeu, au niveau de la classe politique et au niveau de la classe moyenne, dépasse très nettement les clivages interconfessionnels et inter-ethniques. Néanmoins, le ressenti au niveau de la population est différent et se traduit par un certain scepticisme. Dans certaines localités, les conservatismes restent forts. En effet, tous les conflits identitaires ou interconfessionnels n’ont pas été réglés. Il reste des poches de résistance qui font craindre que les tensions puissent ressurgir si l’un des deux camps est déçu après les élections présidentielles.


Le président tchadien, Idriss Deby, accuse le Nigeria de ne pas assez coopérer avec ses troupes et de ne pas avoir réagi assez tôt à la menace que Boko Haram représentait depuis plusieurs années. Le Nigeria avait-il seulement les moyens de lutter seul ? Qu’en est-il de la force régionale qui avait été annoncée lors du 24ème sommet de l’Union africaine ?


Les plaintes du gouvernement tchadien vis-à-vis de l’incapacité du Nigeria à endiguer la menace Boko Haram sont totalement justifiées. C’est en effet l’entrée en guerre de l’armée tchadienne qui a pu permettre au Nigeria de récupérer les territoires sous le contrôle de Boko Haram. On parle de trente-six localités qui ont été libérées et deux des trois États qui étaient sous le contrôle total de la secte (les États de Yobé et de l’Adamawa). Ce que condamne le gouvernement tchadien est cette lenteur de l’armée nigériane et du gouvernement fédéral à assurer un contrôle opérationnel sur ces territoires libérés. Il faudrait qu’une présence militaire continue soit mise en place au nord du pays, ce qui n’a pas été fait jusqu’ici. Tout laisse à croire qu’une fois que les contingents tchadien et nigérian auront fini de libérer ces territoires, leur travail pourrait être voué à l’échec dans la mesure où l’armée nigériane aura été incapable d’en assurer le contrôle militairement.


N’oublions pas que l’armée tchadienne est entrée en guerre pour sa propre sécurité, pour son intégrité territoriale et pour des raisons économiques. La guerre contre Boko Haram a eu un impact économique très néfaste sur les territoires tchadiens. Parmi les quatre pays qui ont été victimes de la menace de Boko Haram, la capitale tchadienne, N’Djamena, reste la ville qui est la plus proche du théâtre des hostilités. Il fallait donc impérativement que le Tchad s’engage dans la lutte. Ce qui pose problème est la capacité de l’Union africaine à adopter un contenu et à financer cette mobilisation – restée largement bilatérale – et à apporter une contribution en termes de planification et mutualisation de la force. L’Union africaine a validé le concept d’opération multinationale mixte mais il doit également être validé par le Conseil de sécurité des Nations unies. Aujourd’hui, la question du financement et la question de l’organisation de cette force pose encore problème car aucune coalition à proprement parlé n’a été mise en place, chaque pays s’engageant en fonction de ses propres intérêts. La France et les États-Unis apportent un soutien de fait en termes de planification et de renseignement. Il faudrait cependant que cette mobilisation soit beaucoup plus structurée et à cette fin, l’appui de l’Union africaine et des Nations unies reste en attente.

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