21.11.2024
Espagne : élections sous influences vénézuéliennes
Tribune
26 mars 2015
Podemos est en effet aujourd’hui, selon les enquêtes publiées, le premier parti espagnol. Cela dit, il caracolait loin en tête de tous les sondages, en janvier 2015. Mais depuis quelques semaines on note un tassement. Cet effritement coïncide avec d’énergiques attaques signalant des connivences avec les autorités du Venezuela. Les deux grands partis de gouvernement, le Parti Populaire (PP), à droite et les socialistes (PSOE) au centre gauche, tout comme les principaux organes de presse, ont ciblé le Venezuela pour toucher par ricochet Podemos. Podemos est associé aux maux économiques et démocratiques du Venezuela. Les critiques faites par ce parti contre la corruption et la rigueur pratiquée par les gouvernements PSOE et PP, en seraient ainsi relativisées.
Le présupposé non explicité par les constructeurs de ce récit, est de mettre les dirigeants actuels du Venezuela dans le casier des méchants. Et a contrario de placer les opposants, quels qu’ils soient, dans la rubrique victimes. Certains commentateurs n’hésitent pas à comparer Nicolas Maduro, président élu du Venezuela au Chilien Augusto Pinochet, général félon arrivé au pouvoir après un coup d’État. L’ordre démocratique, les libertés seraient menacés. Et au-delà, pour reprendre la formule utilisée le 9 mars par le président des États-Unis Barak Obama, la sécurité. Le cadre ainsi posé permet une répartition des acteurs politiques en compétition électorale entre défenseurs du bien, et complices du mal.
La presse a multiplié enquêtes et articles sur les liens financiers de Podemos avec le Venezuela bolivarien. Dès le 18 juin 2014, quelques jours après les européennes, le quotidien El Pais, titrait sur 3,7 millions d’euros versés par Caracas, avant la création de Podemos [1], à une fondation, le Centre d’Études Politiques et sociales (CESP). Le CESP, organisation sans but lucratif, a été constitué en 2002, par les membres les fondateurs de Podemos. Juan Carlos Monedero, responsable programmatique de Podemos, a ensuite été visé. Le journal El Pais, le 23 janvier 2015, alors que les sondages signalaient que Podemos était le premier parti espagnol, révélait la facturation de consultances en 2010 aux gouvernements de Bolivie, du Nicaragua et du Venezuela. Ces versements, reconnus par l’intéressé, d’un montant de 425 000 euros auraient été effectués au bénéfice de sa société unipersonnelle, Caja de Resistencia Motiva 2 Producciones SL. Les faits n’indiquent rien de délictueux. Mais en revanche leur mise ostentatoire sur la place publique insinue une complicité politique assise sur des financements bolivariens, éthiquement posés comme inacceptables.
L’aventurisme ainsi prêté à Podemos a été complété par des actes signalant une solidarité des grands partis avec les éléments les plus radicalisés de l’opposition. Le Premier ministre, Mariano Rajoy (PP), a ainsi reçu le 24 octobre 2014, l’épouse de Leopoldo Lopez, leader du parti Voluntad Popular, initiateur de violentes manifestations de rues, incarcéré depuis le 18 février de l’année dernière. Quelques jours après l’annonce, le 9 mars 2015, de sanctions par les États-Unis, Mariano Rajoy recevait le 13 mars 2015, l’épouse d’un autre responsable arrêté le 20 février précédent, Antonio Ledezma, maire de Caracas (parti Alianza Bravo Pueblo). Dans la foulée, une résolution condamnant le Venezuela, déposée par le groupe populaire au Parlement de Strasbourg était adoptée le 12 mars 2015 avec le soutien des libéraux et des sociaux-démocrates. Felipe Gonzalez, ex-président du gouvernement espagnol (PSOE), annonçait le 21 mars qu’il entendait défendre devant les tribunaux vénézuéliens Leopoldo Lopez et Antonio Ledezma.
Podemos face à cette convergence critique, politique et médiatique, a choisi de faire le dos rond. Ses responsables répondent aux interrogations sur les liens financiers avec les pays bolivariens distillés par la presse. Mais ils se refusent à qualifier la nature du régime vénézuélien. Invités à la prise de pouvoir du bolivien Evo Morales, ils ont choisi de ne pas y assister, alors que les autorités espagnoles étaient représentées. Ils répondent indirectement, par un silence radio prolongé, à ceux qui leur reprochent des amitiés bolivariennes dangereuses. Ils cultivent en revanche publiquement leurs affinités européennes, avec Syriza notamment. De son côté, le gouvernement vénézuélien fait son possible pour rappeler ses affinités avec Podemos.
Les batailles électorales ne s’embarrassent pas de nuances, en Espagne ou ailleurs dans le monde. Les nouvelles technologies de communication accentuent les dérives réductrices. Les enjeux de la mondialisation durcissent les procès en sorcellerie réciproques. Podemos en Espagne et le Venezuela, d’Amérique latine à l’Europe et à l’Espagne, sont aujourd’hui dans l’épicentre de ces contradictions. Les leaders de l’opposition ne devraient pas, selon les critères démocratiques auxquels se réfère le Venezuela, être en prison. Mais il est vrai qu’ils ont avec leurs partis politiques respectifs défendu le recours à une alternance de rue, La salida, au risque de violences. Ce n’est pas le choix fait par une autre opposition qui fait le pari de l’emporter par le bulletin de vote. Podemos est issu des insuffisances économiques et sociales des grands partis de gouvernement espagnols. Sa montée en puissance électorale, quelles que soient les gesticulations verbales des dirigeants vénézuéliens, et quelles que soient en Espagne les insinuations diabolisantes des responsables populaires ou socialistes, ne doit rien à un parrainage venu de Caracas. Les ressorts de sa dynamique sont locaux et espagnols.
[1] Podemos a été officiellement créé le 11 mars 2014.