17.12.2024
Création de la Banque asiatique d’investissement : quel signal la Chine cherche-t-elle à envoyer ?
Interview
23 mars 2015
Tout d’abord, il faut bien comprendre que la finance internationale, ce n’est pas, loin s’en faut, uniquement les organisations internationales. Les institutions financières privées occupent une place centrale sur les marchés. De ce point de vue, la Chine est un pays qui compte de plus en plus mais qui, pour l’instant, est loin d’atteindre le poids des acteurs financiers que peuvent être les banques américaines ou européennes. On constate néanmoins que les banques commerciales chinoises occupent des places de plus en plus importantes dans le classement des grandes institutions financières privées mondiales.
D’un autre côté, il y a la question des organisations internationales, Fonds monétaire international (FMI), Banque mondiale et autres institutions publiques intergouvernementales. L’architecture dite de Bretton-Woods est aujourd’hui clairement déséquilibrée en faveur des pays occidentaux qui en conviennent puisqu’ils ont engagé une réforme de ces institutions depuis une dizaine d’années, sans réellement y parvenir.
L’une des difficultés de cette réforme est la question des quotes-parts, question qui traduit en réalité la montée en puissance des pays émergents dans les instances dirigeantes du FMI et de la Banque mondiale, et les déséquilibres qui découlent aujourd’hui de l’absence de réforme. Cette réforme est souhaitable et souhaitée, et pourtant elle peine à se mettre en œuvre. Rien d’étonnant alors à ce que les pays émergents souhaitent désormais créer d’autres structures au sein desquelles ils ont une place plus en cohérence avec leur poids économique et leur rôle dans les relations internationales. Dans ce contexte, l’initiative chinoise me parait difficilement critiquable dans la mesure où on appelle la Chine depuis des années à prendre ses responsabilités dans la gouvernance mondiale et il n’est pas sûr que l’enjeu de l’AIIB soit juste de créer une rivalité frontale avec les États-Unis.
Il est d’ailleurs plus constructif de faire ce que font les Européens en s’associant à cette instance, que de s’y opposer frontalement comme le font aujourd’hui les
États-Unis. Qui plus est, cette institution aura besoin de moyens financiers conséquents et d’une réelle volonté politique pour fonctionner, mais si elle y parvient, elle financera des infrastructures qui seront autant d’opportunités pour les entreprises au service du développement économique en Asie, facilitant ainsi les activités des entreprises qui y sont d’ores et déjà installées, dont nombre d’entreprises européennes, et créant de nouveaux débouchés et accès à de nouveaux marchés.
Les institutions internationales cristallisent les luttes de pouvoir et les rivalités entre grandes puissances. La multiplication des structures est-elle la seule solution que les pays émergents aient trouvée pour s’émanciper des États-Unis ? Est-ce une bonne chose selon vous ?
Effectivement, c’est la seule solution qu’ils aient trouvée et ce phénomène s’observe depuis plusieurs décennies. L’une des initiatives comparables ayant reçu un certain écho en son temps était celle d’Hugo Chavez en créant El Banco del Sur, regroupant le Venezuela ainsi qu’un certain nombre de pays d’Amérique latine. La Nouvelle banque de développement, dont la création a été proposée par les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a suivi. Par conséquent, on voit bien que face à la rigidité voire l’impossibilité d’avancer au sein des grandes institutions issues de Bretton-Woods, un certain nombre de pays du Sud ont fini par prendre des initiatives de leur côté. Quant à la question de savoir si cela est inquiétant, il y a plusieurs analyses possibles.
La diversité des structures peut permettre d’avoir des institutions adaptées à un plus grand nombre de situations. Donc de ce point de vue, diversifier et multiplier ces institutions apparait plutôt comme une bonne chose. Qui plus est, cela peut inciter les pays à être plus solidaires et conséquemment, générer plus de moyens pour investir. Cela serait une bonne nouvelle à condition bien évidemment, que les pays s’investissent réellement tant financièrement que logistiquement, dans l’accompagnement d’un certain nombre de projets. Il serait bien sûr inutile de créer des institutions sans aucun pouvoir et à la gouvernance tellement mal établie qu’aucune initiative ne serait en mesure de voir le jour.
D’un autre côté, la concurrence entre les acteurs économiques au niveau mondial est l’un des fers de lance du FMI, de la Banque mondiale et des grandes organisations internationales. Il faut donc que ces dernières soient en cohérence avec ce qu’elles affichent et qu’elles acceptent l’apparition de ces nouvelles banques d’investissement. Être mis en concurrence est plutôt une bonne nouvelle et peut aussi impulser et faire évoluer plus rapidement les structures. Mais encore une fois, les limites reposent sur la difficulté qu’il y a aujourd’hui de prendre des décisions et de faire bouger les lignes dans le cadre des organisations internationales. Multiplier ces dernières n’est pas forcément une solution qui va donner des résultats à moyen terme. Par conséquent, cette multiplication des structures, si elle conduit à mieux répondre aux besoins et à donner plus de responsabilités aux pays émergents apparait donc comme une chose positive, à condition qu’elles soient réellement dotées de moyens tant humains que financiers.
On entend déjà des critiques sur le fait que la Chine pourrait ne pas respecter certains standards de gouvernance. Quid de ceux qui devront être utilisés ? Ces critiques sont-elles fondées ?
L’avenir nous le dira. Je crois que l’implication d’un certain nombre de pays dans cette initiative est une bonne chose. Finalement, bien que la Chine soit à l’origine de ce projet, un certain nombre de pays, y compris des pays européens, sont assez nombreux à avoir rejoint l’institution. L’Arabie saoudite est d’ores et déjà partie prenante, tout comme l’Inde ; ainsi qu’un certain nombre de partenaires conséquents. Donc quelque part, et contrairement à une idée reçue, la Chine aura des contrepoids au sein de cette institution et ne s’en est pas inquiétée puisqu’elle a accepté l’adhésion de ces États.
Quoiqu’il en soit, on ne peut pas dire aujourd’hui qui aura le dernier mot et qui déterminera les statuts. Ce qui est certain en revanche, c’est que l’on pourrait également tout à fait discuter et critiquer la gouvernance au sein des grandes organisations type FMI et Banque mondiale. Le poids que va avoir l’AIIB, ne serait-ce qu’en raison des pays qui l’ont déjà rejointe, va obliger les grandes institutions déjà existantes à travailler de concert avec elle.