21.11.2024
Benyamin Netanyahou peut-il dicter sa politique aux Etats-Unis ?
Interview
6 mars 2015
C’est incontestablement une intervention qui peut compliquer les négociations sur le nucléaire. On sait que celles-ci sont très complexes et nul ne peut affirmer à ce jour que les négociateurs parviendront à un compromis. Les points de blocages sont nombreux, notamment la question des centrifugeuses permettant d’enrichir l’uranium, la question de la levée des sanctions ou encore celle du breakout. Ce sont à la fois des questions techniques mais aussi évidemment fondamentalement politiques.
Par conséquent, un discours aussi virulent, tel que celui qu’a prononcé Benyamin Netanyahou le mardi 3 mars devant le Congrès américain, concourt à ce que les parties en négociation à Montreux soient un peu déstabilisées. Cela vaut principalement pour la délégation du P5+1, menée par les Américains, car il semble bien qu’il y ait des divergences de perception ou de façon de mener la négociation. Mais cela vaut également pour les Iraniens, qui comprennent que la partie avec laquelle ils négocient n’est elle-même pas tout à fait homogène et donc pas totalement fiable. Dans un tel contexte, où les négociations d’un dossier éminemment compliqué sont désormais dans une phase cruciale, le fait qu’une des parties n’apparaisse pas comme tout à fait unie sur les objectifs à atteindre, rend les négociations non pas compromises, car je reste raisonnablement optimiste, mais complique le jeu.
Par ailleurs, concernant les conséquences du discours de Benyamin Netanyahou sur les relations israélo-américaines, l’attitude du premier Ministre israélien me semble problématique. Ce qui est choquant, c’est, qu’une fois de plus, nous avons la preuve que les dirigeants israéliens jouissent d’une sorte de sentiment d’impunité qui leur donne le droit de faire ce que bon leur semble, non seulement au mépris du droit international mais aussi de celui de la bienséance. Benyamin Netanyahou peut se permettre de dresser un réquisitoire et de quasiment injurier le président d’un pays, principal allié d’Israël, sans qu’apparemment cela ne suscite beaucoup de remous. Il ne faut cependant pas se leurrer : cette séquence politique très choquante organisée par l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), principal lobby pro-israélien, n’aura sûrement que peu de conséquences sur les relations entre Israël et les Etats-Unis. Il apparaît que l’Etat hébreu est quasiment en situation de dicter sa politique aux Etats-Unis et de lui apposer une sorte de véto, ce n’est certes pas véritablement nouveau mais cela n’avait quasiment jamais été aussi visible.
Benyamin Netanyahou affirme que l’accord qui est en train d’être négocié n’empêchera pas l’Iran de se doter de l’arme nucléaire dans les années à venir. Cette peur qu’ont les Israéliens de l’Iran est-elle fondée alors même que l’Arabie saoudite envisage également de se doter de l’arme nucléaire ?
Benyamin Netanyahou a refait exactement le même type de discours que celui qu’il avait déjà prononcé lors de la réunion de l’Assemblée générale de l’ONU il y a un an et demi : un discours fondé sur la volonté de faire peur. Ses affirmations sont totalement gratuites et propagandistes, sans le moindre fondement ou début de preuve. C’est la volonté manifeste de torpiller un accord dont il ne connaît même pas le contenu !
Je pense, au contraire, que l’Iran est un partenaire sérieux sur la question du dossier nucléaire, doté d’une véritable volonté de parvenir à un compromis. Les Iraniens, ou tout du moins ceux se reconnaissant dans la ligne du président de la République islamique d’Iran, Hassan Rohani, sentent bien que le maintien des sanctions économiques à l’encontre de leur pays est contre-productive. Cela ne les empêche pas d’être des négociateurs difficiles ; nous savons parfaitement que l’Iran, pour des raisons liées à sa longue histoire, a une conscience aiguë de ses intérêts nationaux. C’est d’ailleurs la difficulté à négocier avec lui qui rend le partenaire très sérieux.
Si un compromis est trouvé, je pense qu’il sera respecté, contrairement à ce que pérore Benyamin Netanyahou. Cette politique de la peur que cherche à provoquer le Premier ministre israélien n’est pas acceptable car elle laisse entendre que les Iraniens veulent absolument l’arme nucléaire, ce qui n’est pas avéré. Et dans l’hypothèse où les Iraniens s’en dotaient, ils auraient certainement une logique de dissuasion et non d’utilisation. Il ne faut pas oublier que l’autre pays dans la région qui possède l’arme nucléaire, tout en l’ayant toujours nié, est Israël lui-même. Il y a donc là aussi une contradiction majeure, qui nous renvoie encore une fois au sentiment d’impunité des dirigeants israéliens.
En réalité, le véritable défi est celui de la prolifération nucléaire, facteur de dangerosité et de déstabilisation pour l’ensemble des pays de la région. Chacun comprend que si les négociations n’aboutissaient pas et si les Iraniens se dotaient de l’arme atomique alors l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Egypte tenteraient de s’en doter aussi.
Comment a été perçue cette « offensive » du Premier ministre israélien par les pays arabes ? Plus largement, comment sont perçues les négociations américano-iraniennes dans la région ?
Il n’y a pas de réaction unanime de l’ensemble des pays arabes, que ce soit sur le discours de Benyamin Netanyahou ou sur l’évolution des négociations du P5+1 avec l’Iran.
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis voient la perspective d’un compromis sur le dossier nucléaire iranien avec inquiétude, car le succès hypothétique des négociations contribuera à réinsérer l’Iran dans le jeu régional et international et le placera en position de concurrent économique et politique pour ces deux pays. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis essaient de tout faire pour éviter que les négociations parviennent à un compromis, sans pour autant jeter de l’huile sur le feu, contrairement à Benyamin Netanyahou.
L’Egypte est, quant à elle, dans une posture plus distanciée sur ce dossier, d’une part car elle ne se situe pas directement face à l’Iran d’un point de vue géographique et, d’autre part, car elle fait actuellement face à d’immenses défis intérieurs. S’il y a un dossier international qui préoccupe les dirigeants égyptiens, c’est bien plutôt celui de la Libye, voisin immédiat en proie au chaos. Toutefois, pour des raisons principalement économiques, l’Egypte se situe plutôt dans le camp de l’Arabie saoudite puisqu’elle bénéficie de sa part d’une forte aide économique.
Le Qatar adopte une position différente. Ce dernier souhaite plutôt qu’un compromis avec l’Iran aboutisse car les Qataris ont plus d’intérêts à trouver un terrain d’entente, notamment sur l’exploitation d’un grand gisement gazier qui existe entre les deux pays, que de jouer la carte de l’affrontement.
Enfin, il y a d’autres pays qu’a évoqués Benyamin Netanyahou dans son discours. Il a affirmé que peu à peu, l’Iran absorbait des nations comme le Liban, le Yémen ou l’Irak. Ce n’est évidemment qu’une vue de l’esprit car aucun de ces trois pays n’est à la botte des Iraniens. L’Irak est certes dans une posture de coopération avec l’Iran car une majorité du gouvernement irakien en est plutôt proche. Pour sa part, le Liban, avec la forte présence du Hezbollah, n’est pas lui non plus dans une posture critique vis-à-vis de l’Iran. Enfin, en ce qui concerne le Yémen, ce sont plutôt les dynamiques intérieures qui priment, et au vu du chaos qui règne dans ce pays actuellement, le dossier iranien n’est sûrement pas sa priorité. On le voit la rhétorique de la peur et les vitupérations du Premier ministre israélien ne repose aucunement sur la dure réalité des faits.
Chaque Etat arabe raisonne en fonction des rapports de force régionaux et internationaux, de ses intérêts nationaux et de ses rapports à l’Iran et aux Etats-Unis. Il y a donc une multiplicité de réactions dans le monde arabe vis-à-vis des négociations entre le P5+1 et l’Iran et la volonté de Benyamin Netanyahou de miser sur la peur est une erreur.