19.11.2024
Assassinat de Boris Nemtsov : une opposition russe en sommeil prête à renaître ?
Interview
4 mars 2015
L’assassinat du principal opposant à Vladimir Poutine à quelques centaines de mètres des murs du Kremlin est une affaire gravissime qui traduit un climat très malsain sur le plan politique. Il est bien sûr prématuré de faire des hypothèses pour savoir qui a commis ce crime mais c’est le signe d’une atmosphère générale politique irrespirable. Lorsque le principal opposant politique, l’un des plus connus, est assassiné si près du lieu de pouvoir, c’est un cataclysme. C’est le signe d’un régime et d’une société en très mauvaise situation et dans laquelle le débat politique n’a manifestement pas lieu de façon normal. S’il est prématuré d’attribuer le crime à Poutine, il y a un climat politique général où les discours de haine et où la qualification de traître à la patrie de ceux qui ne sont pas dans la ligne du pouvoir peuvent conduire à ce type de dérives criminelles.
Certains disent que Vladimir Poutine est derrière cela et d’autres affirment qu’étant désigné comme coupable initial et immédiat, il ne peut pas en être le responsable. Ainsi, les théories du complot, de la CIA à Poutine, prolifèrent. Bien sûr, une des hypothèses qui pourrait être retenue est celle d’un groupe d’extrémistes de droite ou d’hyper nationalistes qui voudraient faire taire toute opposition à l’actuelle politique de Poutine et de la Russie.
D’un autre côté, cet assassinat est venu réveiller une opposition qui était en sommeil depuis l’affaire ukrainienne. Boris Nemtsov était un opposant à la politique de Poutine en général, et sur l’Ukraine en particulier. Cela étant, il ne faut pas négliger le fait que si Poutine est critiqué dans le monde occidental sur l’affaire ukrainienne, il est en revanche soutenu dans son pays sur cette même affaire.
Pensez-vous que, paradoxalement, cet assassinat peut permettre un retour ou une affirmation de l’opposition au pouvoir russe ?
Le vrai débat est en effet de savoir quand l’opposition va réellement se réveiller. Cela a été le cas le lendemain de l’assassinat de Boris Nemtsov où des dizaines de milliers de personnes ont manifesté contre ce crime. A l’échelle de la Russie, c’est une manifestation importante. Ceci étant, le problème de l’opposition au Kremlin est qu’elle est divisée. Il y a les libéraux sur lesquels pèsent encore les mauvais résultats économiques des années 90, les privatisations hâtives et faites au profit de proches. Ces libéraux, dont Nemtsov faisait partie, étaient au pouvoir sous Eltsine ; ils sont beaucoup moins populaires en Russie qu’au sein du monde occidental. Il y a également les ultranationalistes et les anciens communistes. Or, ces familles politiques n’arrivent pas à se fédérer dans la mesure où elles ont des agendas tout à fait opposés.
Comment peut-on expliquer la difficulté qu’a l’opposition à émerger en Russie ?
On peut penser que le fait de réduire l’opposition au silence comme le fait Poutine ne sera pas éternel. En 2012, il a été réélu plus difficilement qu’il ne le pensait. Il y aura à terme une société civile et une opposition qui se développeront en Russie, comme dans tous les pays. Le problème est que, pour l’instant, le développement de cette société civile revendicative, réclamant des droits et remettant en cause la politique de Poutine et les dérives intérieures est anesthésié par l’environnement stratégique, notamment sur la crise ukrainienne, les revendications démocratiques s’effaçant derrière la mobilisation patriotique.
Tant que ce climat de tensions perdurera, l’opposition aura du mal à émerger de façon puissante. Cela se fera malgré tout car les classes moyennes se feront de plus en plus craindre. Dès lors qu’un pays agite la menace extérieure, toute opposition au pouvoir a plus de mal à se faire entendre et ceci est vrai pour tous les pays du monde.
L’indignation de la communauté internationale est-elle en adéquation avec l’événement ?
Evidemment, la communauté internationale dans son ensemble s’indigne contre l’assassinat d’un opposant. Il faut souhaiter que l’on retrouvera non seulement les auteurs mais avant tout les commanditaires de cet assassinat, ce qui n’avait pas été le cas pour la journaliste et militante des droits de l’homme Anna Politkovskaïa. L’assassinat de Boris Nemtsov a été extrêmement bien exécuté, planifié, préparé ; ses auteurs n’étaient vraisemblablement pas des amateurs. L’élucidation de ce crime sera un test pour le régime.