Le Rafale vendu à l’Egypte : une bouffée d’oxygène pour Dassault. Mais aussi pour l’État
Après 13 ans de déconvenue, l’avion de combat Rafale a enfin été vendu à un pays étranger. 24 exemplaires vont être livrés à l’Egypte, ainsi qu’une frégate, pour un montant total de 5,2 milliards d’euros. L’entreprise Dassault, dont le Rafale est le fleuron, est loin d’être la seule à sortir gagnante de cet accord, explique Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Iris.
Il était temps. Temps de vendre enfin le Rafale, « cet avion qui ne se vend pas ». Non pas d’ailleurs pour le bien être de la maison Dassault, ou en tout cas pas uniquement, mais plutôt pour l’État français, qui se rapprochait à vitesse supersonique du mur budgétaire qu’il s’était créé dans la loi de programmation militaire 2014-2019.
Cette loi de programmation budgétaire comporte en effet deux impasses budgétaires majeures dans le sens où elle est basée sur deux événements hypothétiques qui conditionnent sa réussite.
Il y a d’une part des recettes exceptionnelles qui doivent atteindre un montant de 1,77 milliards d’euros en 2015. On sait que ces recettes ne seront pas au rendez-vous cette année, ce qui oblige l’État à envisager la constitution de sociétés de projets, qui doivent acheter les équipements que les armées devaient posséder pour ensuite leur louer et donc limiter d’autant la charge budgétaire immédiate qui pesait sur le budget de la défense.
Le budget de l’État a tout à y gagner
Il y a ensuite la perspective de réduire de 11 à 4 le nombre de Rafale livré en 2016, puis de les stopper totalement sur les trois dernières années de la programmation militaire, de 2017 à 2019, et ce afin de pouvoir financer d’autres programmes d’armement plus urgents. Mais cela voulait dire que les exportations devaient prendre le relais des 7 avions non livrés en 2016 puis des 11 avions non livrés de 2017 à 2019.
Faute d’exportation du Rafale, il est en effet très probable que l’État aurait continué à acquérir des Rafale en 2016 et les années suivantes car il semble en effet impossible de stopper la chaîne de montage du Rafale à Mérignac durant plusieurs mois si ce n’est plusieurs années puis de reprendre la fabrication à partir de 2020.
La poursuite des livraisons de rafale non budgétés par la loi de programmation militaire (le coût unitaire de l’avion avoisine les 100 millions d’euros) aurait obligé à des coupes dans d’autres chapitres du budget de la défense, à supprimer la commande d’autres équipements à faire des choix cornéliens pour ne pas dire impossible.
Faute d’exportation du Rafale, ce n’est pas un examen à mi-parcours de la loi de programmation militaire auquel il fallait procéder l’année prochaine mais bien à une révision pure et simple de celle-ci.
Une bouffée d’oxygène pour l’industrie
Le contrat « Egypte » règle donc au moins l’un des deux problèmes budgétaires du ministère de la Défense et ce d’autant plus que la nécessité qu’a l’Egypte de bénéficier d’une livraison rapide de ses Rafale conduira à réaliser l’intégralité de la fabrication de ceux-ci en France, contrairement à ce qui est prévu dans le cas où le contrat avec l’Inde venait à être signé, permettant ainsi de se substituer à la livraison des Rafale français.
Cette hypothèque budgétaire est donc levée tout au moins jusqu’en 2018.
On aurait également tort de se focaliser sur la seule entreprise Dassault en termes de bénéfice du contrat en Egypte. En vendant des Rafale à l’Egypte, c’est toute l’industrie française de défense qui bénéficie d’une bouffée d’oxygène. Thales et Safran tout d’abord, qui fournissent les sous-systèmes les plus importants de l’avion, MBDA qui vend les missiles que l’avion embarque et dont Airbus est l’actionnaire.
Enfin, il y a toute la chaîne d’approvisionnement, toutes les PME qui travaillent pour fournir les composants qui équipent cet avion notamment en Aquitaine. Dans le domaine maritime, DCNS est également concerné par le contrat avec l’Egypte puisqu’une frégate Fremm sera livrée à ce pays.
L’offre concurrente pour ce type d’avion se réduit
Ce contrat est également une chance pour l’État français dans son rôle de préservation des capacités technologiques et industrielles de notre industrie de défense car cette vente viendra soutenir une industrie qui souffre aujourd’hui des coupes budgétaires et qui voyait avec inquiétude se profiler, au-delà des restrictions financières classiques, le bug budgétaire qui risquait d’affecter le ministère de la Défense.
D’un strict point de vue commercial, la vente du Rafale à l’Egypte doit également nous conduire à revoir les analyses faites habituellement sur le marché des avions de combat. Longtemps, on a cru que le Rafale était invendable, que c’était un échec pour Dassault et pour la France.
Des erreurs ont certes été commises par les Français sur certains marchés à l’exportation. L’avion était sans doute « surdimensionné » pour un grand nombre de pays au moment de sa mise en service. Mais quinze ans après, ce n’est peut-être plus le cas. L’offre concurrente pour ce type d’avion est en effet en train de se réduire.
Les Américains mettent l’accent aujourd’hui sur le F-35, un avion d’une génération plus moderne que le Rafale mais aussi un avion plus cher et plus complexe. La période de maturité de l’exportation du Rafale pourrait donc s’ouvrir actuellement ce que tendrait d’ailleurs à prouver les autres perspectives encourageantes à l’exportation qui s’offre à cet avion aujourd’hui.
Se différencier davantage des Américains
Pour que cette réussite se prolonge, il faudrait toutefois réunir plusieurs conditions.
Tout d’abord, il est nécessaire que nous ayons une ligne diplomatique qui nous permette de nous différencier des Américains. Dans l’exportation d’armement, il n’y a pas que le matériel que l’on vend mais toute la politique étrangère et de sécurité d’un pays.
Comme nous ne pourrons jamais fournir à certains pays la garantie de sécurité qu’offrent les Américains, nous devons proposées d’autres perspectives basées sur une politique étrangère plus respectueuse des intérêts de souveraineté des États. L’Union européenne aurait d’ailleurs intérêt à suivre une voie identique.
En second lieu, nous devons être plus inventifs dans nos offres à l’exportation. Le marché a changé, certains États cherchent, au-delà des équipements, à acquérir un véritable savoir-faire pour leurs armées, un de nos points forts que nous pouvons offrir en accompagnement de nos offres sur les matériels.
Nouer de vrais partenariats stratégiques
Certains pays, le Brésil ou l’Inde par exemple, souhaitent pouvoir conduire une politique plus indépendante, mieux affirmer leur souveraineté, ce qui se traduit par des demandes en matière de partage de technologies industrielles.
Ce sont des préoccupations que nous pouvons parfaitement comprendre car notre politique d’armement depuis le début des années 1960 a été inspirée par les mêmes considérations. Sans remettre en cause la compétitivité de notre industrie et son niveau technologique, nous pouvons accéder à certaines de ces demandes et créer un véritable partenariat sur le long terme avec ces pays.
Cela nécessite une mise en cohérence de toute notre politique étrangère : il faut que les partenariats stratégiques que nous avions envisagés dans l’armement avec certains pays deviennent de vrais partenariats stratégiques et ne se limitent pas à un simple slogan commercial comme cela a été trop souvent le cas autrefois.
Publié en partenariat avec le Plus du Nouvel Obs