20.11.2024
Espagne, PODEMOS ! Mais que peuvent-ils?
Presse
3 février 2015
Un argumentaire fourretout accompagne la prédiction. L’Espagne comme la Grèce n’est-elle pas victime de la crise et de ses conséquences sociales ? L’Espagne comme la Grèce n’a-t-elle pas épuisée les capacités des partis politiques de gouvernement, Nouvelle Démocratie et Parti Populaire, Pasok et PSOE ? L’Espagne comme la Grèce n’a-t-elle pas vocation à entrainer le reste de l’Europe contre FMI, Allemagne et banque centrale européenne?
Cette information en auberge espagnole, a le mérite de signaler un évènement politique important. Oui la violence de la crise a fragmenté la représentation partisane espagnole. Oui, Podemos, est l’un des acteurs, sans doute le plus inattendu et le plus significatif de ce bouleversement. Oui, en Espagne, comme en Grèce le souvenir des dictatures militaires gêne, sinon interdit, l’expression d’un vote contestataire de droite ou d’extrême droite. Ce triple constat ne permet pas de dépasser l’émotion médiatique et les discours officiels en langue de bois, en Espagne, en Grèce ou en France. L’éventuelle parenté de la situation espagnole avec celle de la Grèce, l’éventualité d’une possible contagion européenne supposent d’avoir une connaissance plus précise du théâtre politique et social espagnols.
Effectivement Podemos en quelques mois est devenu un personnage incontournable de la vie politique espagnole. Son acte de naissance a un peu plus d’un an. Le manifeste Podemos a été rendu public par ses initiateurs, un groupe de scientistes politiques de l’université madrilène Somosaguas, le 11 janvier 2014. Sa marque déposée en tant que parti politique a moins d’un an. Le document notarié a été enregistré le 11 mars 2014. A peine deux mois et demi plus tard Podemos se présentait aux élections européennes. A la surprise des instituts de sondage et des autres formations il a séduit près de 8% des électeurs ayant voté et emporté cinq sièges sur 54. Les consultations via internet organisées dans la phase d’organisation du parti en octobre-novembre 2014 ont mobilisé plus de 100 000 personnes. Les sondages réalisés ces derniers mois ont confirmé l’engouement. Podemos serait selon ces instituts en janvier 2015 le premier parti espagnol.
Cette émergence volcanique mérite explication. D’autant plus que le programme de Podemos est minimal. Pour plusieurs raisons, la plus pertinente reflétant la difficulté de construire un projet en un laps de temps aussi court. Podemos a exprimé un rejet massivement partagé, déjà signalé par les Indignados pendant quelques semaines de 2011, celui des politiques d’austérité pratiquées par les gouvernements espagnols qui se sont succédé depuis 2008, date du début de la crise économique. Le chômage a grimpé de 8 à 25%. Un jeune de 25 ans sur deux est à la recherche d’un travail. Le salaire des fonctionnaires a été baissé, tout comme les retraites et la couverture sociale. Les crédits en faveur de l’école, de la recherche, de la culture ont été amputés.
De 2008 à 2011 le chef de gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero était socialiste (PSOE). Depuis cette date c’est Mariano Rajoy, droite (Parti Populaire) qui est aux commandes de l’Espagne. Aux élections européennes comme dans les sondages réalisés depuis mai 2014 PP et PSOE ont vu leur capital électoral sérieusement érodé. Podemos en a été l’un des bénéficiaires. Mais il n’est pas le seul. On a constaté aux européennes un émiettement de la représentation partisane. D’autre part en Catalogne et au Pays Basque les enjeux nationaux sont biaisés par des dynamiques autonomistes et indépendantistes locales. Le mécontentement dans ces régions a d’autres canaux d’expression.
Qui, in fine, quelle force politique, va cette année, en 2015, canaliser le refus de l’austérité et le vote sanction ? Le 22 mars prochain les Andalous vont renouveler leur parlement. Le 24 mai tous les Espagnols vont voter pour élire leurs conseils municipaux et les ceux de 13 régions à statut ordinaire. Le 27 septembre les Catalans renouvellent leur assemblée locale. Et les législatives nationales, vont être convoquées au mois de novembre, à une date qui n’a pas encore été fixée. Une course de vitesse interpartisane est d’ores et déjà ouverte.
Cette course a été anticipée par la direction de Podemos. Se voulant transversale, au-delà de la droite et de la gauche, elle a ciblé son discours sur plusieurs Non, plusieurs refus, susceptibles de capter un large éventail d’électeurs. Non à l’austérité, Non aux expulsions de logements, Non à l’abandon de souveraineté, Non aux diktats d’Angela Merkel et du FMI, Non aux vieux partis représentatifs d’une caste répondant plus à ses intérêts qu’à ceux des Espagnols, Non à Mariano Rajoy, le président du gouvernement. Porteur de ces messages Pablo Iglesias, leader historique du parti, a été mis sur le marché sur le modèle de certains responsables charismatiques latino-américains. Personnage médiatique avant d’être le chef fondateur de Podemos, de 2008 à 2014 il avait gagné une notoriété en participant aux tribunes télévisuelles les plus diverses. La campagne électorale éclair des européennes, en mai 2014, instrumentalisant ce capital médiatique, s’est faite sur son nom, figurant en gras et en gros sur les bulletins.
Podemos et Pablo Iglesias vont-ils tenir la distance ? Le Parti Populaire essaie de vendre la récupération macro-économique de l’Espagne. La croissance a repris des couleurs. Le chômage a baissé, bien que légèrement. Ces chiffres incontestables, laissent la majorité des Espagnols de marbre. Ils ont en effet laissé bien des plumes salariales et sociales tout au long de l’épreuve. Qui plus est la chute a été si profonde depuis 2008, que la légère remontée constatée ces derniers mois est loin du compte. Le PSOE est considéré par beaucoup d’électeurs comme co-responsable des politiques d’austérité. Ses responsables successifs, Alberto Perez Rubalcaba et Pedro Sanchez se sont efforcés de gauchir le discours et d’apparaitre comme les seuls en mesure de proposer une alternative réaliste et crédible au Parti Populaire. Mais le passé, les années difficiles du gouvernement Zapatero pèsent encore lourds. IU, la Gauche unie, l’ex-PCE (parti communiste espagnol) est la victime collatérale paradoxale de Podemos. Les cadres dirigeants de Podemos sont issus pour beaucoup des rangs de la Gauche unie. Ils l’ont quittée considérant qu’IU fonctionnait à l’ancienne, de façon verticale et idéologiquement archaïque, loin des préoccupations immédiates exprimées par les citoyens électeurs. IU selon les dirigeants de Podemos est culturellement incapable d’adapter son discours à la société des medias télévisuels et d’internet. IU espérait rattraper le PSOE aux européennes. Podemos lui a barré cette perspective. Les enquêtes réalisées ces derniers mois montrent un glissement progressif des sympathisants d’IU vers Podemos.
Pour autant l’horizon de Podemos n’est pas dégagé à 100%. Podemos a choisi de s’organiser comme un parti politique classique, abandonnant le spontanéisme et l’assembléisme qui ont été sa marque initiale. Une forte minorité reste attachée à cet engagement premier. La déclaration d’apolitisme, fondée sur la nécessité de parler vrai et non d’idéologie, n’est pas partagée par tous les adhérents. Un groupe important, issu d’un petit parti d’extrême gauche, la Gauche anticapitaliste, conteste le tranversalisme de Pablo Iglesias. Ces différences bien que volontairement minimisées retardent la construction du parti. Podemos n’a pas de structure pleinement opérationnelle en Andalousie, à un mois et demi des élections au parlement de la Région autonome. Bildu au Pays Basque et ERC, la Gauche républicaine catalane concurrencent Podemos. Ces formations occupent un terrain qui est le sien dans le reste de l’Espagne. La capacité enfin de Syriza à forcer la porte d’une renégociation de la dette grecque en 2015 sera suivie en Espagne avec attention. Un succès de Syriza, même partiel, crédibiliserait Podemos. Un échec rendrait une marge de manœuvre électorale au Parti Populaire et au PSOE.