06.11.2024
Céréales : l’Europe doit produire plus et mieux
Presse
21 janvier 2015
Vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide, l’état stratégique du monde s’est transformé. Des progrès dans la santé, la technologie, la communication, l’éducation ou les niveaux de vie s’affirment à l’échelle planétaire. Mais la croissance économique n’est pas inclusive. Ni socialement ni spatialement. Les disparités entre Nord et Sud, entre pays développés et pays en développement, se réduisent, mais les inégalités s’accroissent entre les individus et entre les territoires, créant de nouvelles frontières et suscitant de nombreuses colères. La multiplication des insécurités socio-économiques et humaines bouleverse les rapports de pouvoir entre dominants et dominés ou entre centres et périphéries. Plusieurs tendances annoncent une complexité et une imprévisibilité grandissantes. Or deux fondamentaux, simples et permanents, restent clairs et irréversibles : se nourrir pour vivre et l’agriculture pour produire cette alimentation. Ces deux évidences, trop souvent oubliées, méritent d’être reclassées dans l’analyse sur l’état stratégique de la planète. Il s’agit d’enjeux contemporains qui continueront à l’être demain. Alors que la géographie tiendra sa revanche au cours de ce siècle (climat favorable, disponibilité en eau et en sols) et que les matières premières seront centrales dans le jeu des relations internationales, il serait regrettable de ne pas miser sur l’agriculture pour le futur de l’Europe.
La sécurité alimentaire sur notre continent demeure un objectif. Mais l’Europe peut aussi, si elle le veut et s’en donne les moyens, contribuer aux équilibres alimentaires mondiaux, notamment en direction de l’Afrique et du Moyen-Orient, là où les besoins augmentent rapidement. Cela suppose aussi trois choses.
Premièrement, sortir la politique agricole commune du débat technocratique en la réformant autrement que par des mesures administratives et environnementales. Il faut lui redonner une ambition stratégique adaptée aux réalités géopolitiques. Deuxièmement, cesser donc de regarder l’élargissement à l’Est comme une source de problèmes.
L’adhésion de nouveaux Etats membres ces dernières années renforce et complète le potentiel de puissance agricole de l’Union européenne. C’est donc aussi en ces termes qu’il conviendrait d’examiner à moyen terme les relations avec l’Ukraine ou avec la Turquie, et pourquoi pas ensuite avec l’Afrique du Nord, dont certaines productions similaires à celles de l’Europe du Sud conféreraient une taille critique supérieure à cet ensemble euro-méditerranéen agricole pour peser dans la mondialisation économique. Troisièmement, miser sur des cultures à forte valeur géostratégique. Les céréales notamment. Grenier à blé de la planète, l’Europe possède des avantages comparatifs indéniables avec ce produit vital bientôt consommé par près de trois milliards de personnes dans le monde. En produisant plus et mieux, elle sera à la fois en mesure de soutenir la croissance en Europe, d’atténuer le risque de crises à ses portes, de répondre aux exigences des sociétés et de rendre encore plus intelligente son agriculture.
Ce sont les thèmes de Davos. Mais pourquoi pas en faire surtout des objectifs pour Bruxelles et des obligations pour la France ? Commercer pour la sécurité alimentaire n’est pas incompatible avec des politiques locales de développement agricole et rural. Le voisinage méridional de l’Europe a autant besoin d’approvisionnements en denrées de base que de coopérations techniques ciblées afin d’accompagner la modernisation de ses agricultures. La sécurité humaine du sud et de l’est de la Méditerranée se joue aussi sur ces questions simples et permanentes.