« La Nation ou le chaos » – Trois questions à Jacques Myard
Jacques Myard est député des Yvelines, membre de la Commission des affaires étrangères, ainsi que de la Délégation pour l’Union européenne. Il est vice-président du groupe d’amitié France-Syrie, et secrétaire des groupes d’amitié France-Irak et France-Liban. Il préside par ailleurs un groupe de réflexion politique, le Cercle Nation et République, qui défend la souveraineté de la France et les valeurs de la République.Il répond à mes questions à l’occastion de son dernier ouvrage » La Nation ou le chaos », paru aux éditions L’Harmattan.
Selon vous, les lois mémorielles alimentent le ras-le-bol des Français et font le lit de la xénophobie. Quel équilibre entre l’examen lucide du passé et le mea culpa permanent dont vous parlez ?
L’histoire n’est jamais une science définitive et les découvertes scientifiques permettent de revisiter des vérités établies et de faire avancer la connaissance historique. Ce sont les raisons pour lesquelles je suis fermement opposé à ce que le législateur fige l’histoire et donne une version officielle intangible, sanctionnée par le droit pénal. Cette conception de l’histoire relève d’une vision à la soviétique, d’une histoire à la Pravda, privilégiée par les régimes totalitaires du XXe siècle comme le régime nazi du IIIe Reich. En conséquence, le législateur n’a pas à fossiliser l’histoire dans des lois mémorielles. Il doit se garder de geler et de sanctuariser l’histoire dont la lecture est toujours évolutive en fonction de l’état de nos connaissances. Le Conseil constitutionnel m’a donné raison dans sa décision du 28 février 2012 sur la loi visant à réprimer la contestation de l’existence de génocides au nom de la liberté d’expression et de communication. Je l’avais saisi avec M. Diefenbacher, et plus de 70 députés s’étaient joints à notre démarche.
Croyez-vous à la distinction en politique étrangère entre le gaullo-mitterrandisme et l’atlantisme ou l’occidentalisme?
Si le gaullo-mitterandisme est l’indépendance de la France et de sa politique étrangère, déterminée souverainement par le peuple français et son gouvernement élu, si l’atlantisme signifie l’alignement sans réflexion sur Washington et sa vassalisation, alors oui il existe un fossé entre ces deux conceptions de politique étrangère. J’estime que la politique étrangère de la France doit être souverainement décidée à Paris, en fonction de nos intérêts, et de la conception que nous avons de la place et du rôle de notre pays dans le monde, celui d’une nation souveraine, indépendante mais participant pleinement au concert des Nations. La France a une vocation mondiale et de ce fait, elle ne saurait s’enfermer ni dans l’isthme européen ni dans une alliance contrainte, atlantiste ou autre. Cela ne signifie pas que, lorsque les circonstances le commandent, et lorsque nos intérêts, notre sécurité l’exigent pour garantir notre indépendance, elle ne puisse pas s’allier avec d’autres Etats pour unir nos forces et faire face. Mais il ne doit être posé aucun préalable, tout dépend des circonstances ; en tout état de cause, la France doit garder la maîtrise des décisions et éviter d’être entraînée dans des conflits qui ne sont pas les siens. A l’ère des puissances relatives qui se caractérise par des coalitions souvent éphémères selon les enjeux, nous avons la force de jouer pleinement notre rôle. La France n’est pas une hyperpuissance mais elle a la capacité d’entraîner et de faire valoir ses conceptions.
Vous dénoncez un alignement sur les Américains. En quoi se manifeste-t-il ?
Cette question doit être analysée à deux niveaux, sur le plan national et dans le cadre européen.
Au niveau national:
Au cours de la dernière décennie, la France a eu tendance à épouser les conceptions américaines dans la conduite de sa politique extérieure. On a vu, notamment, qu’elle a décidé de poursuivre son engagement en Afghanistan, à la demande de Washington, alors même que le candidat Nicolas Sarkozy estimait que ce n’était plus le conflit de la France ; il a changé de position, une fois élu président. De la même manière, il a décidé le retour de la France dans les structures militaires intégrées de l’OTAN, à l’exception du comité nucléaire, alors même que l’OTAN fonctionne sur un logiciel exclusivement américain. J’ai personnellement critiqué cette décision non tant sur le plan militaire car l’OTAN a évolué sur ce point en une organisation « à la carte », mais surtout sur le plan diplomatique. La France a ainsi donné l’impression d’un ralliement à la puissance dominante à un moment où l’OTAN dépasse le cadre territorial de ses membres et se propose d’agir comme le gendarme du monde. Plus récemment, le président Hollande, sur la question syrienne, en l’absence même de décision du Conseil de sécurité des Nations Unies, voulait avec Washington frapper Damas. Au moment où Barack Obama diffère sa décision de frappe, le président Hollande interrogé sur ce qu’il allait faire, répond : « j’attends la décision de Washington » ! Cette réponse est quelque peu étonnante. Mais l’atlantisme ne se résume pas à des décisions nationales.
Dans le cadre européen:
Par souci de solidarité européenne, la France adopte parfois la position de nos partenaires très atlantistes. Il n’est pas exagéré de dire que le cadre européen impose un suivisme atlantiste. J’en veux pour preuve la crise qui nous oppose à la Russie sur l’Ukraine. Malgré l’importance de nos intérêts économiques et stratégiques, la France s’aligne sur les sanctions à l’encontre de la Russie, réclamées avec véhémence par les ultra européens très hostiles à Moscou et encouragés par Washington. Cette situation n’est pas acceptable.
Prôner l’indépendance de notre politique étrangère, ce n’est pas vivre en autarcie en ignorant le tumulte du monde derrière une ligne Maginot illusoire ! Il s’agit seulement de faire admettre que nous avons des intérêts spécifiques qui ne sont ni ceux de Washington, ni ceux de Bruxelles, de Berlin ou de Moscou… C’est la seule voie possible, ou alors c’est accepter de sortir de l’histoire.