Russie et pétrole : quelle relation pour l’avenir ?
Quelles conséquences pourrait avoir la chute des prix du pétrole sur la Russie ? Quels sont ses atouts pour surmonter la baisse de ses revenus liés aux hydrocarbures ?
La chute des prix du pétrole est aujourd’hui le principal problème de la Russie, et ce bien davantage que les sanctions occidentales liées à la crise ukrainienne. Le ministre du Développement économique a ainsi chiffré, il y a une dizaine de jours, les pertes pour l’économie russe liées à la baisse des cours du pétrole à plus de 100 milliards de dollars sur l’année – contre 32 milliards environ pour les sanctions. La baisse des cours du pétrole a un très gros impact sur l’économie russe mais surtout sur les recettes fédérales liées aux hydrocarbures et donc sur les budgets fédéraux, ces derniers ayant été établis sur un cours supposé de 100 dollars le baril alors que ce dernier s’établit aujourd’hui à 68 dollars : cela représente donc une perte sèche très importante pour l’État russe.
Contrairement à de nombreux pays producteurs de matières premières, comme l’Arabie Saoudite pour le pétrole ou le Qatar pour le gaz, la Russie possède l’avantage d’être un multi-acteur dans les ressources naturelles car les matières premières présentes sur son sol sont extrêmement variées. La Russie est ainsi l’un des premiers producteurs mondiaux de pétrole, de gaz et d’uranium. C’est également un pays qui possède un pouvoir de régulation extrêmement fort sur le cours de nombreux métaux stratégiques et qui est de plus en plus un très grand producteur de matières premières agricoles, notamment de blé. La Russie a donc la capacité d’articuler ses revenus par rapport à l’ensemble de ces matières premières.
Nous sommes cependant aujourd’hui dans une crise systémique globale, qui touche l’ensemble des économies mondiales – y compris les pays émergents – et qui a conduit à la chute du cours de toutes les matières premières. La Russie traverse donc une phase compliquée.
Alors que les champs pétrolifères russes vont bientôt arriver à maturité, la Russie a-t-elle encore les moyens d’investir dans de nouveaux programmes d’exploitation et d’exploration ?
C’est là aussi un point extrêmement complexe. A la fin des années 2000, Vladimir Poutine a voulu sanctuariser le territoire russe de toute influence étrangère dans les secteurs stratégiques (réforme du code minier, loi sur les secteurs stratégiques, etc.), ce qui a limité – voire pratiquement annulé – la présence des compagnies pétrolières et gazières étrangères. Or, le faible cours actuel du baril de pétrole va immanquablement entraîner un arrêt de l’exploitation des gisements les moins rentables. Conjuguée à l’arrivée à maturité des champs pétrolifères et gaziers déjà en exploitation, cette chute du baril va mettre en difficulté les compagnies russes, qui auront de plus en plus besoin des majors occidentales (et notamment de leur savoir-faire technologique). En conséquence, deux options vont alors émerger : soit le Kremlin accepte une modification ou un assouplissement de la législation existante pour laisser entrer des entreprises étrangères (européennes ou américaines) sur son territoire, soit la Russie décide de faire cavalier seul mais une telle décision entraînera certainement une baisse de sa production à moyen-terme.
Comment peut-on expliquer l’abandon unilatéral du projet South Stream par la Russie ? Doit-on y voir une réaction aux sanctions occidentales contre l’économie russe ou bien existent-ils d’autres facteurs explicatifs ?
On peut identifier plusieurs éléments pouvant expliquer cet abandon unilatéral. Les autorités russes ont ainsi explicitement déclaré que c’est la décision de la Commission européenne de se lancer dans une forme de guérilla juridique – avec les nombreux blocages sur la question de l’absence d’appel d’offres en Bulgarie –, qui les a poussées à annuler le projet.
Cette décision peut également être interprétée comme une contre-sanction russe aux sanctions européennes pour faire sentir aux Européens à quel point ils sont dépendants de la Russie. On a également pu voir que cette dernière se tourne de plus en plus vers des partenaires non-européens – on peut penser à l’accord gazier passé avec la Chine il y a quelques mois, ou bien à son rapprochement avec la Turquie. Les Russes cherchent ainsi à diversifier leurs clients et à réduire la dépendance mutuelle qu’ils entretiennent avec l’Europe car si cette dernière est dépendante des livraisons d’hydrocarbures russes, la Russie est elle-aussi aujourd’hui dépendante des commandes européennes.
South Stream était un immense gazoduc avec une capacité de près de 63 milliards de m3. Alors que la Russie multipliait les offres de fourniture d’hydrocarbures, avec la Chine, la Turquie, le Japon, etc. on peut se demander si elle aurait réellement été capable d’alimenter l’ensemble de ses clients, situation aggravée par les conséquences de la baisse des cours du pétrole comme évoqué précédemment.
Enfin, on peut penser que Vladimir Poutine a pu chercher à faire jouer l’influence des compagnies européennes (dont EDF), partenaires du consortium South Stream (49% du consortium étaient ainsi possédés par ces compagnies) contre leur propre gouvernement en leur faisant finalement faire du lobbying en faveur de la Russie. En effet, l’abandon du projet représente une importante perte sèche de revenus pour ces compagnies européennes. Il risque également de fragiliser la sécurité énergétique de l’Europe du Sud, notamment les pays des Balkans.