L’abandon des charges contre Moubarak : symbole d’un retour en arrière pour l’Egypte ?
Comment doit-on interpréter la décision d’un tribunal du Caire d’abandonner les charges pesant sur Hosni Moubarak ? S’agit-il d’un clou supplémentaire dans le cercueil de la Révolution égyptienne ?
L’expression est imagée mais elle est parfaitement exacte. Ce que certains ont vu comme une révolution n’en a en réalité jamais été une. Il y a certes eu un processus intense de contestation qui a abouti au départ de Moubarak il y a presque quatre ans. S’en sont alors suivis plusieurs mois de mobilisation sociale et politique intenses ¬ on peut même parler de processus révolutionnaire ¬ mais, en réalité, l’institution militaire, qui est partie intégrante des pouvoirs politique et économique en Égypte, n’a jamais véritablement quitté les rênes du pouvoir. Même à l’époque où les Frères Musulmans avaient été élus démocratiquement, représentés par le Président de la république Mohammed Morsi, l’appareil militaire a toujours conservé la main sur les véritables leviers du pouvoir.
Nous sommes aujourd’hui dans une conjoncture particulière car celui qui incarnait le régime honni, Hosni Moubarak – qui, suite à sa destitution, a été emprisonné pour la mort des manifestants s’étant opposés à son maintien au pouvoir ainsi que pour des affaires de corruption – vient d’être blanchi par l’appareil judiciaire pour ces deux accusations. Cette décision, ainsi que le fait qu’il puisse éventuellement bénéficier d’une remise de peine et donc être libéré, est le symbole très préoccupant d’un retour politique en arrière incontestable et de la remise en place du régime qui fut renversé. On ne peut cependant pas imaginer que Moubarak reprenne le pouvoir dans le futur, et ce même s’il a été blanchi, ne serait-ce que pour des raisons liés à son âge. Les espoirs fondés par des centaines de milliers de manifestants il y a quatre ans sont en tout cas aujourd’hui bien loin.
Quelle est aujourd’hui la situation politique en Egypte ? S’achemine-t-on un peu plus vers une dictature ?
La situation politique est éminemment problématique. Le cas symbolique de Moubarak, que je viens d’évoquer, marque clairement un retour en arrière. Dans le même temps, depuis le coup d’Etat du général Sissi en juillet 2013, environ 40.000 personnes ont été emprisonnées à un moment donné pour des motifs politiques. Ce sont les militants des Frères Musulmans qui ont subi le plus durement cette reprise du pouvoir : près de 15.000 d’entre eux seraient aujourd’hui encore sous les verrous.
Toute forme de contestation politique ainsi que la possibilité même de manifester sont aujourd’hui interdites en Égypte. Cela s’est illustré quand la décision de la Cour de Justice concernant Moubarak est tombée et qu’un petit millier de manifestants s’est rassemblé spontanément pour exprimer leur mécontentement : la manifestation a été réprimée extrêmement durement par le régime, faisant deux morts parmi les manifestants. Il y a une dizaine de jours, également, 78 jeunes (entre 13 et 17 ans) ont été condamnés à des peines allant de 2 à 5 ans de prison parce qu’ils avaient osé contester le pouvoir en place et manifester pour le retour du président Morsi. Nous sommes aujourd’hui dans une situation de dictature, où l’expression de tout esprit critique ou indépendant est interdite.
L’élection de Sissi au poste de président n’a quant à elle été qu’un simulacre d’exercice démocratique puisque ses opposants n’ont pas pu s’exprimer et que ceux qui ont voté pour lui l’ont souvent fait par défaut.
Je demeure également interloqué par le fait que François Hollande, le Président de la république française, alors qu’il recevait son homologue égyptien à Paris, ait soutenu « le processus de transition démocratique actuellement en œuvre » : nous n’avons visiblement pas la même vision de la situation, nous sommes en effet aujourd’hui clairement dans une dictature.
Comment peut-on expliquer la multiplication des violences et des attaques contre les forces de sécurité égyptiennes ? L’Egypte réussit-elle à faire face à la menace terroriste ?
L’explication à cet accès de violence est simple. Tout d’abord, aucun des défis politiques et sociaux ayant amené la population égyptienne à se soulever il y a 4 ans n’a été résolu. La situation économique ne s’est nullement améliorée et s’est même dégradée. Des pans entiers de l’appareil productif égyptien sont sinistrés, tandis que l’industrie touristique tourne à vide. Conjuguée à ces facteurs, la quasi-impossibilité à s’organiser en partis politiques indépendants ou syndicats ainsi qu’à manifester, du fait du système répressif mis en place, ont conduit une partie, certes très minoritaire, de ceux et celles, qui n’acceptent pas cette situation, à basculer dans la violence en s’attaquant à l’armée et à la police égyptienne. C’est une forme de désespoir pour ces individus, non autorisés à s’exprimer librement. C’est cependant une erreur car le rapport de force est indéniablement en faveur du gouvernement et ne permet d’espérer une victoire de ces derniers sur l’appareil répressif égyptien. On peut ainsi craindre que ces violences ne se multiplient à l’avenir en Égypte.
Encore plus préoccupant, une partie minoritaire des militants des Frères Musulmans – même si l’appareil clandestin des Frères Musulmans a la sagesse de ne pas verser dans les provocations et dans la violence, à ce stade en tout cas – ont eux aussi basculé dans la violence et surtout dans le terrorisme ; ce processus va être difficile à contrôle et ajoutera du désordre à la situation chaotique qui prévaut en Égypte.
La situation sécuritaire s’est également infiniment dégradée dans le Sinaï, où les groupes djihadistes prolifèrent désormais. Il apparaît désormais que certains d’entre eux se réclament de l’Organisation Etat islamique. Les forces de répression égyptiennes démontrent leur incapacité à lutter avec efficacité et à démanteler ces réseaux terroristes. C’est d’autant plus inquiétant car cette situation indique que l’Etat n’est donc plus de facto en situation d’assurer le maintien de l’ordre sur une vaste partie de son territoire. Facteur supplémentaire d’inquiétude, le Sinaï constitue une zone tampon avec Israël. Or, l’installation et la prise de contrôle de territoires à une de leurs frontières par des djihadistes risque indubitablement de susciter l’inquiétude des Israéliens, jamais avare d’aventures militaires. La dégradation de la situation sécuritaire égyptienne risque donc d’avoir des conséquences sur d’autres pays de la région.