Prolongement des négociations avec l’Iran, un motif d’espoir ?
Cette dernière semaine de négociations a-t-elle permis de rapprocher les positions des Occidentaux et de l’Iran ? En quoi la visite du ministre saoudien des Affaires étrangères est-elle un évènement marquant ?
Cette décision de prolonger les négociations s’explique par un rapprochement des points de vue des différentes parties, même s’il n’y a pas encore d’accord final. C’est ce qu’a expliqué le président iranien Hassan Rohani lors de son discours retransmis à la télévision iranienne hier soir ; il a ainsi déclaré que les logiques des deux camps s’étaient rapprochées et qu’il était maintenant temps de « coucher cela sur papier « . John Kerry, le Secrétaire d’Etat américain en charge des négociations pour les Etats-Unis, a ainsi déclaré qu’il serait stupide de s’arrêter maintenant. Ce rapprochement des points de vue peut également s’expliquer par l’approche de la date butoir.
La visite du ministre saoudien lors du dernier jour de négociation a été extrêmement mal perçue par les Iraniens et les a profondément scandalisés, l’Arabie Saoudite étant leur principal rival dans la région. Bon nombre de journaux iraniens titraient ainsi ce matin que sa visite n’avait pour seul fondement que la volonté de faire échouer les négociations. J’adopterais un point de vue plus mesuré en estimant que les Saoudiens visaient en réalité à rappeler leurs positions sur le programme nucléaire iranien mais aussi pour se tenir au courant de l’avancée des négociations. Si cette démarche visait à froisser les Iraniens, il est certain qu’il a atteint ses objectifs, les Iraniens étant choqués par ce qu’ils considèrent comme une tentative d’ingérence saoudienne.
Comment peut-on expliquer cette décision des négociateurs de se donner un délai supplémentaire de sept mois pour négocier (jusqu’au 30 juin 2015) ? Quelles seront les modalités de la mise en place de ce prolongement des négociations ?
C’est en fait le plan commun d’action, mis en place le 24 novembre 2013 à Genève, qui va être prolongé pour 7 mois. On reste donc dans le même cadre de négociations. La feuille de route établie hier soir propose d’arriver à un premier accord politique entre les parties pour mars 2015 tandis qu’un accord plus global (intégrant les détails techniques) devrait être trouvé pour le 1er juillet 2015. Comme l’a montré l’épisode d’hier, on peut voir que des points de désaccord persistent dont deux notables : le nombre de centrifugeuses que l’Iran pourra posséder à terme et le rythme de levée des sanctions internationales pesant sur le régime iranien. Cependant, on a pu voir que des concessions avaient été faites de part et d’autre. L’idée partagée par les négociateurs est que prolonger cette dynamique positive permettra d’arriver à un accord, les négociateurs semblant toujours optimistes. Selon les propres termes d’un diplomate iranien, « c’est le temps qui (…) a manqué ». L’ensemble des parties (les 5+1 et l’Iran) se rend bien compte que le pire des scénarios serait de stopper les négociations, de sortir du cadre de Genève et de se séparer sans accord car les scénarios alternatifs sont extraordinairement risqués. En effet, une telle éventualité conduirait l’Iran à poursuivre son programme nucléaire tandis que les puissances occidentales décideraient vraisemblablement de renforcer leurs sanctions, ce qui conduirait à une nouvelle escalade des tensions.
Quels risques comporte cette décision de repousser la date butoir des négociations ? Ce délai supplémentaire ne risque-t-il pas de renforcer dans les deux pays le parti des adversaires à tout accord ? L’optimisme est-il toujours de mise ?
Il est tout à fait clair que ce prolongement des négociations comporte des risques et qu’il va être utilisé par les « durs » des deux camps pour critiquer les négociations en cours. Côté iranien, il est évident que les conservateurs les, plus radicaux vont profiter de l’occasion pour dénoncer les négociations et réclamer leur interruption en développant une rhétorique selon laquelle cela ne sert à rien de négocier avec les Américains et les Européens, car ces derniers ne sont pas fiables, qu’ils ne cherchent qu’à affaiblir la République islamique et que l’Iran a déjà fait beaucoup de concessions sans rien obtenir en retour. Côté américain, les républicains les plus virulents voient dans ce report le signe de l’inutilité de négocier avec l’Iran, que les négociations ne permettent qu’au régime iranien de gagner du temps et de faire progresser son programme nucléaire et que si rien n’a été obtenu au bout d’un an, il est nécessaire de revenir à la manière forte en votant de nouvelles sanctions.
Il est intéressant de voir comment ces tensions politiques internes vont être gérées par les gouvernements iranien et américain. En Iran, il est certain que le rôle du Guide (l’ayatollah Ali Khamenei) va demeurer central. Le point fondamental pour le président Rohani sera de savoir s’il va conserver le soutien du guide suprême. C’est en effet ce dernier qui a accepté le principe des négociations. Si Rohani conserve le soutien de l’ayatollah pour sa stratégie de négociation, il sera en mesure de poursuivre les discussions avec les grandes puissances, même s’il sera mis en difficulté au Parlement. De son côté, Barack Obama va chercher à faire appel aux Républicains en leur demandant de ne pas chercher à saborder la dernière chance de trouver un accord avec l’Iran afin de les dissuader de voter des sanctions supplémentaires qui conduiraient à une sortie du cadre de négociations – Le Plan Commun d’Action mis en place à Genève en 2013 prévoit qu’aucune sanction supplémentaire contre l’Iran ne peut être votée tant que les négociations seraient en cours – et, enfin, en leur expliquant qu’il n’existe aujourd’hui pas d’alternatives crédibles pour régler cette crise.