ANALYSES

Violence au Mexique : un mal incurable ?

Interview
17 novembre 2014
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky

Comment expliquer que l’enlèvement des 43 étudiants ait déclenché de telles manifestations ? Comment a évolué la politique sécuritaire du pays ces dernières années ?


L’impact pris par l’évènement s’explique par le nombre – 43 disparitions, même au Mexique, c’est quelque chose de très fort – et l’âge des disparus. D’abord cantonnée aux familles des victimes, la contestation s’est progressivement élargie. De nombreuses personnes au Mexique, notamment dans cette région de l’Etat de Guerrero, sont impactées depuis de nombreuses années dans leur vie personnelle et professionnelle par la permanence de la violence de groupes criminels. La protestation des proches des étudiants normaliens a également réveillé d’autres protestations dans tout le Mexique. La société civile a ainsi exigé des mesures visant à assurer la sécurité, la lutte contre la corruption et la lutte contre la délinquance. C’est l’ensemble de la classe politique – tous partis confondus -, qui est activement critiqué et jugé responsable de ce « jeu de massacre » par les manifestants.
Cette violence, phénomène endémique au Mexique, s’est exacerbée ces dernières années suite aux mesures prises par l’ancien Président Felipe Calderon entre 2006 et 2012. On compterait ainsi près de 22.000 disparus et près de 60.000 morts depuis 2006. Dans cette affaire des étudiants disparus d’Iguala, on a découvert l’existence de nombreuses fosses communes où des dizaines de personnes avaient été exécutées ; c’est un « musée de l’horreur », qui a été révélé par cette dramatique affaire.


Le Mexique peut-il venir à bout de cette violence endémique ?


La réponse à cette question est très compliquée à donner car la violence au Mexique est profondément différente de celle intervenant en Europe ou dans d’autres pays. Au Mexique, cette violence est très liée au trafic d’armes, d’êtres humains et de stupéfiants. On a ici affaire à des entités économiques et criminelles hiérarchisées, extrêmement bien structurées, qui gagnent beaucoup d’argent, et ont les moyens nécessaires pour corrompre des représentants des institutions (forces locales de police, la justice et hommes politiques).


Afin de rompre ce cercle de la violence, l’ancien président mexicain (Felipe Calderon) avait décidé de mobiliser l’armée fédérale pour épauler les forces de police dans leur lutte contre les trafiquants. Cette politique de mobilisation de l’armée pour assurer la sécurité intérieure s’est cependant révélée peu satisfaisante car elle a conduit le crime organisé à se disperser, et a bouleversé les rapports de force entre les différents cartels et a surtout amené à une redistribution des territoires entre ces derniers. Du fait de cette réorganisation, de nombreux affrontements pour le contrôle de pans du territoire mexicain éclatèrent entre membres de groupes rivaux, ce qui conduisit à une augmentation de la violence ambiante. De plus, ce recours massif aux militaires révéla également l’inadéquation des militaires – notamment du point de vue de leur formation – à effectuer de telles missions « de police », ce qui conduisit à de nombreux abus et exactions en particulier vis-à-vis des droits de l’homme.


Enfin, le Mexique possède une difficulté supplémentaire, que l’on retrouve au Brésil, constituée par son statut d’Etat fédéral. Ainsi, la coordination entre les différents niveaux des forces de sécurité (forces de police locales, forces de sécurité au niveau des Etats et enfin les forces fédérales) est plus compliquée à mettre en place même si un corps de police fédérale est en train d’être mis en place – avec l’aide de la France. On a ainsi vu entre 2006 et 2012, des affrontements avoir lieu entre des policiers ou militaires fédéraux et des policiers locaux liés au crime organisé et aux cartels de la drogue.


Dans le même temps, le nouveau président mexicain, Enrique Peña Nieto, a cherché à minimiser la situation sécuritaire pour ne pas effrayer les investisseurs étrangers et a donné la priorité aux réformes économiques – réformes du droit du travail, de la fiscalité, du secteur de l’énergie etc.-, en vue de donner une image attractive du Mexique à l’international. Or, à mettre ainsi les questions de sécurité sous le tapis, les choses ont fini par ressortir et éclater.


En quoi cette violence peut-elle entraver la croissance de l’économie mexicaine ?


Le Mexique a réalisé de gros efforts ces dernières années en vue de s’intégrer à l’économie mondiale. Il a ainsi lancé un vaste projet de coopération et de libre-échange (l’Alliance du Pacifique) avec les pays d’Amérique Latine (Colombie, Chili, Pérou) disposant d’une façade sur le Pacifique, qui fonctionne plutôt bien. Le Mexique est également membre du G20. Depuis 1994, le Mexique est également membre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Ses principaux partenaires commerciaux sont aujourd’hui les Etats-Unis et la Chine (respectivement en première et seconde position) même si les pays européens figurent eux-aussi en bonne position. Or, déjà depuis quelques années, les investisseurs s’inquiétaient du contexte sécuritaire délétère du Mexique (violence notamment contre leurs expatriés, corruption, etc.).


La société Eurocopter avait ainsi réalisé un gros investissement au Mexique pour viser le marché de l’ALENA mais a été contrainte de le délocaliser de Monterrey à Querétaro pour des raisons de sécurité. Un autre bon exemple est celui de la ligne à grande vitesse devant relier Querétaro – accueillant de nombreux constructeurs aéronautiques – à Mexico (à 210 km). L’appel d’offre avait été gagné par une entreprise chinoise mais a récemment été finalement annulé car il a été prouvé que l’appel avait été truqué, que cette dernière avait été favorisée et avait bénéficié du soutien de deux entreprises proches du parti du président (le Parti révolutionnaire industriel). Le président a alors décidé de suspendre cet appel d’offre et d’en relancer un dans les formes.
Dans le même temps, cette violence endémique a également de lourds impacts sur le secteur du tourisme. La ville d’Acapulco – ville touristique traditionnelle –, qui est située dans le même Etat que la ville d’Iguala où les étudiants ont disparu, a ainsi été délaissée par de nombreux touristes.
Le Mexique connaîtra donc vraisemblablement des difficultés du fait de l’activité de ces organisations criminelles sur son territoire, si ce problème n’est pas pris à bras-le-corps.

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