L'édito de Pascal Boniface

Discours pour la cérémonie de remise des insignes de chevalier de l’ordre de la légion d’honneur à André Schmer, ancien résistant FTP-MOI par Pascal Boniface – 6 novembre 2014

Édito
7 novembre 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
 » André Schmer !

Enfin la justice est venue sous vos pas triomphants.
Car cette légion d’honneur, tant méritée, aura été longue à venir.

Depuis 2002, Jean-Claude Lefort dépose des dossiers auprès de la préfecture pour qu’elle soit attribuée. 12 ans déjà, que cela passe vite, 12 ans !

Nous aurions dû décider d’empourprer nos visages du rouge de la honte si vous ne l’aviez pas enfin à votre boutonnière. Comment justifier de pouvoir la porter si elle vous était refusée ?

André Schmer, vous êtes né le 19 mai 1927 en Pologne. En 1928, votre famille a fui l’antisémitisme et les pogroms qui y sévissaient pour s’installer en France.

En 1929, en pleine crise, les autorités françaises décident le retour dans leurs pays de tous les étrangers sauf ceux qui ont des enfants nés en France. Heureusement, la famille Schmer s’est agrandie avec l’arrivée d’Annette. Vous évitez ainsi l’expulsion.

Parce qu’à prononcer, son nom est difficile, Necheniasz choisit de s’appeler André. Apatride, vous allez à l’école de la république

Poulbot, le gamin effronté et malin de Paris, devient votre héros. Et vous allez vous-même devenir un titi parisien, mais la tragédie de la guerre ne vous aura pas permis une oisive jeunesse. Elle ne fut à rien asservie.

Lorsque Pétain adopte les lois anti-juives, en 1940, vous militez déjà aux jeunesses communistes. Vous commencez à distribuer des tracts.

Vous refusez de porter l’étoile jaune. Cela vaut bien un ruban rouge !

Votre famille échappe à la rafle du Vel d’hiv de 1942 grâce à la solidarité de patriotes français, et vous partez peu après à Lyon.

On vous donne des faux papiers au nom d’Etienne Dumon.

Arrêté place Bellecour, vous êtes relâché par miracle et évacué sur Grenoble.

Début 1943, Isy Tchernesky vous annonce « tu rentres chez les sportifs ». Drôle de sport ! En clair, vous entrez dans la résistance armée. Vous n’avez pas encore 16 ans.

Vous rejoignez les FTP/MOI, vous aurez le matricule 94232. Les missions dangereuses s’accumulent, vous risquez votre vie à chaque instant.
Vous avez déclaré « Je me laissais prendre comme un mouton ou je résistais. »

Il ne faudrait pas en conclure à un choix facile.
Ce qu’il faut de courage et de détermination, de patriotisme, d’amour du prochain, d’abnégation et de dévouement pour choisir, si jeune la résistance montre une force de caractère peu commune.

La peur est là. Mais le courage, la soif de liberté et le patriotisme la renvoient à l’arrière-plan. Vous n’avez réclamé ni la gloire ni les larmes. Vous vous êtes simplement servi de vos armes.

Nombreux de vos camarades seront tués ou torturés, vous en vengerez plusieurs. Après la libération vous ne toucherez plus une arme de votre vie.

André Schmer, vous avez déclaré « C’est Hitler qui m’a dit que j’étais juif ». Vous assumez votre identité. Mais avez toujours fait prévaloir l’universalisme sur le communautarisme, fidèle en cela à vos convictions d’adolescent.

Par la suite, l’adulte n’a jamais trahi les engagements du jeune homme.

Vous devenez français en 1948. Vous avez choisi la France. Pour elle, vous avez combattu. Pour elle, vous avez risqué votre vie.

Français vous l’êtes jusqu’au bout des ongles.

Mais votre France, celle dont Thiers disait qu’on « l’assassine », est plus celle de Ferrat que de Déroulède, celle d’Hugo ou Zola que de Maurras, celle qui incarne l’universel et non celle qui réprime, celle qui accueille réfugiés et exilés politiques et non celle qui les enferme ou les chasse.

Vous adhérez au PCF et rencontrez Christiane Ham à l’école de la CGT en 1948. Vous vous mariez un an plus tard, et votre fille Françoise vient compléter votre bonheur familial en 1950.

En 1949, vous passez un concours de fraiseur, le métier de tailleur ne vous plaisant plus. Puis vous devenez chef d’équipe puis adjoint-technique, puis chargé d’urbanisme dans les mairies de Vigneux, Orly et Ivry.

Pour obtenir votre diplôme de la fonction publique, vous suivez des cours à l’Université de Paris 8.

Les mêmes motifs de soif de justice qui vous ont fait prendre les armes vous conduisent aujourd’hui à condamner l’occupation d’un peuple par un autre et défendre le droit à l’autodétermination des Palestiniens. Et votre glorieux passé, vous autorise à balayer d’un revers de la main ceux qui assimilent de façon honteuse critique de l’action du gouvernement israélien et antisémitisme.

Vous avez une passion pour l’histoire. Après avoir contribué à l’écrire, vous en lisez désormais assidument les livres. Vous en êtes également un témoin.

Vous allez régulièrement dans les écoles, et notamment celles qui accueillent un public largement issu de l’immigration pour transmettre votre message aux jeunes générations.

Vous rappelez le rôle des étrangers dans la résistance.

Merci André Schmer d’avoir permis à ma génération et aux suivantes de vivre debout dans un pays libre et autonome.

La résistance a rendu à la France son honneur bafoué par Pétain.

Vous êtes un exemple pour les générations futures dans un monde où le sens de l’honneur, le goût des autres, l’engagement désintéressé manquent parfois.

Merci de votre exemple où l’immensité de votre courage n’a d’égal que votre modestie.

En vous remettant – enfin ! – la légion d’honneur, la France ne vous récompense pas, elle honore avec retard la dette qu’elle a à votre égard. »

André Schmer,

Au nom du président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier de la légion d’honneur.
Tous les éditos