La Zambie à la croisée des chemins
Le vendredi 24 octobre 2014, la Zambie célébrait les 50 ans de son indépendance, drapeaux nationaux flottant au vent dans les grandes villes du pays. Quatre jours plus tard, les drapeaux furent mis en berne, suite à l’annonce de la mort du 5ème président zambien, Michael Sata, décédé à Londres le mardi 28 octobre 2014 des suites d’une longue maladie. Le 25 octobre, le Cabinet, l’organe exécutif du pays (regroupant le Président, le Vice-Président ainsi que les ministres) nommait au poste de président par intérim le Vice-président, Guy Scott, un Zambien « blanc » – né dans le pays et issu d’une famille britannique installée sous l’ère coloniale, lorsqu’il s’appelait encore Rhodésie du Nord – faisant couler beaucoup d’encre dans la presse internationale.
Ces quelques jours de bouleversement politique ont été l’occasion, pour ce grand pays d’Afrique australe (752 000 km²), de faire le bilan de son héritage historique, et de s’atteler à définir son avenir.
Les cinquante dernières années, depuis la déclaration d’indépendance de la Rhodésie du Nord, ont vu s’épanouir un pays pacifique et stable. En 1964, la Rhodésie du Nord est ainsi sortie de l’ère coloniale – avec moins de tumultes que sa voisine, la Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe) – sous l’impulsion de l’UNIP, le parti national uni pour l’indépendance et de son leader, Kenneth Kaunda, qui devint alors le premier président de la République de Zambie. Durant les décennies suivantes, le pays s’est défini une identité nationale pacifique, regroupant plus de 70 groupes ethniques sous un drapeau unique. Havre de paix dans une zone tourmentée, la Zambie est devenue un refuge pour des milliers de personnes fuyant les combats en RDC, au Mozambique, en Angola, et, plus récemment, la crise zimbabwéenne. Sans intervenir dans des conflits armés, la Zambie, membre du Mouvement des non-alignés durant la Guerre Froide, a offert un soutien actif à de nombreux mouvements indépendantistes de la région, dont le Congrès National Africain (ANC) luttant contre l’apartheid.
Les célébrations du 24 octobre 2014 ont souligné ces décennies de paix, ainsi que le dynamisme économique actuel du pays (avec parfois une ferveur surprenante au vu des défis économiques que le pays doit surmonter). Le président, Michael Sata, n’aura pas eu l’opportunité de célébrer ces acquis historiques avec le peuple zambien. Hospitalisé à Londres, il est décédé quatre jours après les célébrations de l’indépendance du pays.
L’élection de Michael Sata en 2011 a représenté la première alternance politique du pays depuis la création du multipartisme et l’élection de Frédéric Chiluba, leader du Mouvement pour la démocratie (MMD) qui remplaça le dirigeant historique, Kenneth Kaunda, au pouvoir durant 26 ans.
La vacance du pouvoir, créée par le décès du chef de l’Etat, a ouvert de nombreux débats, politiques, législatifs et sociaux auxquels la Zambie devra répondre au plus vite.
En 2011, Michael Sata avait été élu en s’associant à Guy Scott, Zambien « blanc », soulignant le modernisme certain de la société zambienne. Pendant trois ans, Guy Scott a dirigé le pays avec Michael Sata, dont il a été le vice-président. Néanmoins, une clause de la Constitution ne lui permet pas de se présenter aux prochaines élections présidentielles car ses deux parents ne seraient pas nés sur le territoire national. Cette clause a été introduite par le second président zambien, Frédérick Chiluba, pour empêcher la réélection de Kenneth Kaunda (au pouvoir de 1964 à 1991), originaire du Malawi. Bien qu’elle ait été par la suite contestée par la Cour suprême zambienne, elle semble avoir constitué un défi pour le Président Sata, qui du fait de sa longue maladie, a du s’absenter régulièrement du pays pour se faire soigner à l’étranger. Durant chacune de ses absences, le chef de l’Etat laissait ainsi le pays aux mains de différents ministres, nommés en chaque occasion et chargés d’assurer l’intérim à la place du vice-président, considéré comme inéligible.
Lorsque M. Sata est décédé à Londres le 28 octobre, Edgar Lungu, ministre de la Justice et de la Défense et secrétaire général du Front patriotique (PF), le parti au pouvoir, fut ainsi chargé d’assurer la présidence par intérim. Néanmoins, quelques heures après l’annonce du décès du président, le Cabinet a nommé Guy Scott, le vice-président, au poste de président par intérim, suivant ainsi la règle constitutionnelle faisant du vice-Président le numéro deux du pays, comme cela avait déjà été le cas en 2008, après le décès du Président Mwanawasa, qui s’était vu remplacé par son vice-président, Rupiah Banda. Selon la constitution, l’intérim présidentiel devra durer 90 jours, jusqu’à l’élection d’un nouveau chef de l’Etat.
Si la constitution actuelle ne semble pas autoriser l’élection de Guy Scott à l’investiture suprême dans trois mois, une révision constitutionnelle, prévue de longue date et supposée être présentée en début d’année 2015, pourrait changer la donne. En attendant, de nombreux débats se sont ouverts sur la question, portant d’ailleurs plus sur les zones d’ombre de la légalité constitutionnelle de sa nomination que sur sa couleur de peau en elle-même.
Au-delà de l’éligibilité du président par intérim, le défi majeur que doit surmonter le pays est l’absence de leader crédible pour les élections à venir. Si l’opposition présente quelques personnalités fortes, qui ont pu bénéficier des difficultés du PF au cours des dernières années, le parti est lui-même grandement divisé par des tensions et une guerre de clans. Ainsi, Edgar Lungu a été démis de ses fonctions au sein du parti par le nouveau président par intérim, lundi 3 novembre, avant d’y être réinstallé le lendemain, suite à une vague d’émeutes dans la capitale et de pressions politiques exercées sur Guy Scott. Ce revirement du Président en exercice, qui souligne son hésitation sur la marche à suivre dans cette période transitoire, ainsi que le bras de fer qui s’est instauré entre lui-même et les autres factions du PF, laissent présager une transition complexe. Si le pays est toujours en période de deuil, les débats devraient très rapidement prendre de l’ampleur après les funérailles de Michael Sata, le 11 novembre.
Si les médias internationaux se sont initialement principalement focalisés sur la couleur de peau du nouveau président zambien, le pays est en réalité engagé dans une réelle transition politique, entravée par une confusion juridique et une absence de perspectives claires.
Il faut espérer que la Zambie saura, une fois de plus, faire preuve de son pacifisme historique face aux défis qui s’annoncent, pour résoudre la crise politique créée par la vacance du pouvoir, ne pas sombrer dans une analyse postcoloniale xénophobe opposant « Blancs » et « Noirs » et continuer de développer de façon durable son économie, après une série de politiques économiques contestées ayant entrainé, l’année passée, une dévaluation rapide de la monnaie nationale.