ANALYSES

Printemps noir au Burkina Faso contre la présidence à vie

Tribune
30 octobre 2014

La population de Ouagadougou était dans la rue mardi 28 octobre avec une très forte mobilisation (500 000 manifestants annoncés). La grève générale soutenue par les syndicats avait été peu suivie mercredi 29 octobre. En revanche, le déchainement de la violence à Ouagadougou et à Bobo Dioulasso jeudi 30 octobre a fait plier le pouvoir entraînant l’annulation du projet de modification de la constitution, l’incendie du Parlement et de plusieurs bâtiments dont la mairie et le siège du parti dominant à Bobo Dioulasso. Le siège de la télévision qui a arrêté d’émettre a été incendié. Le frère de Blaise Compaoré, un des hommes puissants du régime a été arrêté.


La réunion du Parlement de jeudi 30 était décisive. Il s’agissait pour l’opposition de s’opposer à ce qu’elle appelle un « coup d’Etat constitutionnel » et qui était une manœuvre permettant au président Blaise Compaoré de se représenter aux prochaines élections présidentielles de novembre 2015. Rappelons que ce chef d’Etat a accédé au pouvoir en 1987 après l’assassinat de Thomas Sankara après avoir été avec ce dernier à l’origine de la révolution de 1983. Il a depuis instauré un régime semi-autoritaire étant au pouvoir depuis deux septennats et deux quinquennats (le deuxième s’achevant en 2015). Sur le plan juridique, la révision de l’article 37 de la constitution limitant le nombre de mandats à deux était possible de deux manières. La première était un vote majoritaire de ¾ (soit 96 voix favorables) au Parlement qui devait se prononcer ce jeudi 30 octobre. La seconde était un référendum. Blaise Compaoré avait discrètement organisé le vote du parlement. Arithmétiquement, son parti, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), dispose de 70 voix sur 127. Il est également lié à des petits partis représentant 11 voix. Il avait donc besoin de 15 voix supplémentaires, qu’il a marchandées avec l’Alliance pour la Démocratie et la Fédération (ADF) et le Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Sauf défection et intimidation, le Président devrait donc obtenir les 96 voix nécessaires.


La mobilisation de la rue et des leaders de l’opposition ont balayé ce projet. Les affrontements violents entre les manifestants et les forces de l’ordre tirant à balle réelle ont fait au moins un mort et embrasé la rue. L’annulation du vote n’a pas pour autant arrêté les mouvements de colère.


Les enjeux internes au Burkina Faso et plus globalement à l’échelle du continent africains sont importants à plusieurs niveaux.


Ces manifestations témoignent d’une grande mobilisation de la société civile burkinabaise contre un tripatouillage de la Constitution. Cette réforme rejoint les manipulations constitutionnelles réalisées en Algérie (2008), en Angola (2010), au Cameroun (2008), à Djibouti (2010), au Gabon (2003), en Ouganda (2005), au Tchad (2009), au Togo (2002), et envisagées aujourd’hui au Burundi, au Congo Brazzaville, en RDC, et au Rwanda. Les instances africaines de l’Union africaine ou de la CEDEAO sont jusqu’à présent restées silencieuses devant ces révisions constitutionnelles permettant le maintien au pouvoir des chefs d’Etats en exercice. Barack Obama s’était prononcé pour que les nouvelles générations puissent accéder aux responsabilités, quelles que soient les qualités des dirigeants « présidents à vie ». L’Union européenne a condamné cette manipulation électorale en affirmant, le 28 octobre, « son attachement au respect des dispositions constitutionnelles en vigueur ainsi qu’aux principes définis par l’Union africaine et la CEDEAO sur les changements constitutionnels ». Les autorités françaises ont incité les différentes parties à la retenue.


Le Burkina Faso, pays enclavé et pauvre fait montre d’une grande maturité politique par ces actions citoyennes et son jeu politique qui n’est ni ethnicisé, ni lié aux référents religieux. Le régime semi-autoritaire de Blaise Compaoré s’appuie sur un parti largement dominant mais avec débats, une armée républicaine – même si l’on a observé en 2011 une mutinerie de la base contre la hiérarchie – et le rôle des anciens (bérets rouges, des notables qui donnent les consignes du vote). Il y a combinaison de pouvoirs « traditionnels » et de pouvoirs légitimés par les urnes.


L’enjeu du Burkina Faso est devenu stratégique du fait de la présence de forces françaises dans le dispositif Barkhane et américaine, mais aussi du fait du rôle d’interlocuteur des Occidentaux joué par Blaise Compaoré dans la négociation des conflits ouest africains (Côte d’Ivoire, Mali), mais également car ce pays est resté stable et sécurisé dans un environnement menaçant. Qu’en sera-t-il face à la chute probable de Blaise Compaoré et aux mouvements de la rue ? La situation était jeudi 30 octobre très confuse. Quelles seront les positions des militaires et quel sera le rôle des leaders de l’opposition ?


Ces printemps noirs qui font écho aux printemps arabes renvoient également à des luttes de classes d’âge et à des conflits intergénérationnels. 60% de la population n’étaient ainsi pas nés quand Blaise Compaoré a pris le pouvoir. La société est marquée par la montée de jeunes voulant prendre place dans le jeu politique et s’opposant au pouvoir des notables et à la gérontocratie politique. Le capitaine Thomas Sankara, chef d’Etat de 1983 à 1987, avant d’être assassiné, menait déjà ce combat.


Tous les regards africains sont tournés aujourd’hui sur « le pays des hommes intègres » avec crainte, résignation ou espoir.

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