France-Portugal et France-Algérie : quand les fantasmes pèsent davantage que les faits
J’ai reçu à propos de mon article sur le match France-Portugal de nombreuses réactions, de trois ordres principalement.
Les premières – et les plus nombreuses – pour me remercier de mettre en avant le double standard, la stigmatisation rapide dès lors que les Maghrébins sont concernés, et d’évoquer un fait passé sous silence par les médias, sportifs ou non.
Les secondes pour abonder sur le caractère fréquent de la double identité. Un Français qui a des origines étrangères ou des racines particulières, quel que soit le pays d’origine (Italie, Portugal, Espagne, Algérie, Tunisie, Maroc, etc.), fera quasi systématiquement le choix des racines les plus lointaines.
On s’identifie plus facilement à la partie la plus minoritaire de son identité, celle qui distingue des autres compatriotes, par des racines qui sont particulières, alors que la qualité de Français est commune et générale. Je n’avais cité que des exemples européens et maghrébins.
Des correspondants m’ont rappelé qu’il en est de même pour les Français d’origine africaine (Sénégal, Cameroun, Côte d’Ivoire etc.). Certains m’ont même signalé avec pertinence que s’il y avait un match France-Guadeloupe, France-Martinique ou France-Réunion, évidemment nos compatriotes ultra-marins choisiraient le département d’outre-mer contre la métropole.
En aucun cas cela ne permet de douter de leur attachement à la France. Une fois de plus, la plupart de mes correspondants trouvent ça aucunement problématique, bon enfant, et s’étonnent qu’on ne fasse une différence que pour les pays du Maghreb. Une fois encore, je ne trouve rien à redire dans l’attitude de ceux qui ont soutenu le Portugal. Je trouve simplement curieux que pour les mêmes faits, il y ait des commentaires différents.
La troisième catégorie de réponses était là pour me signaler – certaines au mépris de la réalité du match et contrairement à ce que j’écrivais dans l’article – que les Français d’origine portugaise n’avaient pas sifflé la Marseillaise. D’autres pour dire que les supporters n’avaient pas brûlé des voitures et saccagé d’abribus comme l’auraient fait leurs compatriotes d’origine maghrébine après les matches France-Algérie, France-Maroc ou France-Tunisie.
Le problème est que ce rappel qui se veut basé sur la réalité est tout simplement une erreur factuelle, qui provient du préjugé que justement je dénonce. Lors du match France-Algérie d’octobre 2001, qui s’est déroulé peu après le 11 septembre, dans une atmosphère un peu lourde pour les musulmans, l’hymne français a été sifflé, quelques spectateurs ont pénétré sur le terrain. Invasion interdite mais pacifique, sans aucune violence. Il s’agissait surtout de jeunes qui étaient là pour se montrer. Beaucoup de places ont été distribuées gratuitement sans que l’on s’occupe d’un encadrement nécessaire.
Lionel Jospin, qui était au stade de France, avait déclaré : « Des envahissements de terrains il y en a déjà eu et il y en aura d’autres. On ne va pas en faire tout un fromage ». Mais une semaine après les faits, une étude Ipsos montrait que les incidents étaient considérés comme « graves » par de nombreux Français, car « ils témoignent des difficultés d’intégration d’une partie de la population française d’origine musulmane ».
Une fois encore, on peut supposer qu’il n’y a pas eu un tel sondage réalisé après France-Portugal…
En 2003, une loi sera votée contre l’outrage public des symboles de la République, que sont l’hymne national ou le drapeau tricolore. Lors de la finale de la Coupe de France de 2002 entre Lorient et Bastia, les supporters corses avaient eux aussi sifflé La Marseillaise. Mais Ipsos n’avait alors pas fait de sondage sur les difficultés d’intégration des Corses en France. En 2007, il y eut un match France-Maroc. L’hymne national fut sifflé, mais le terrain ne fut pas envahi, et il n’y a pas eu non plus de voitures brûlées. Bernard Laporte, alors secrétaire d’État au Sport, avait tout de même déclaré qu’il ne voulait plus revivre de tels matches, contre l’Algérie, contre le Maroc et contre la Tunisie, au Stade de France. Une déclaration un peu limite.
Malgré tout, en 2008, un match France-Tunisie a été organisé. Afin de prévenir tout incident (mais on peut se demander si au contraire on ne les a pas préparé en agissant ainsi) et pour éviter les sifflets, les joueurs étaient rentrés main dans la main et la chanteuse Lââm, d’origine tunisienne, fut choisie pour chanter l’hymne français. Celui-ci fut copieusement et, faut-il le dire, joyeusement sifflé. Outre les aspects identitaires déjà évoqués, ceux qui prenaient parti pour l’équipe visiteuse choisissaient David contre Goliath, phénomène répandu chez les amateurs de foot.
Le président Sarkozy convoqua le président de la Fédération française de football (FFF), Jean-Pierre Escalettes, qui pourtant n’était en rien responsable. Il fut évoqué la possibilité d’arrêter un match et d’évacuer le stade si de nouveau l’hymne national était sifflé. Il a fallu rappeler aux autorités que vider un stade de 80.000 places, de personnes venues pour assister à un match dont elles se voyaient privées pouvait éventuellement poser plus de questions de sécurité qu’en résoudre. L’affaire en resta là.
Ce qui est intéressant, c’est que les personnes qui veulent à tout prix distinguer les Français d’origine maghrébine des autres Français ont dans leur mémoire collective la présence d’événements qui n’ont jamais existé.
Nul bus ou voiture n’ont été brûlés, nuls abribus ou équipements publics n’ont été détruits après les matchs France-Algérie, France-Maroc et France-Tunisie. Mais certains affirment que cela a eu lieu. Ce qui s’est passé, c’est qu’après le match où l’équipe d’Algérie s’est qualifiée pour la Coupe du monde 2010, il y eut effectivement 200 véhicules incendiés.
Des incidents ont eu lieu lors de la retransmission sur écran géant au stade Charléty après la défaite contre les États-Unis (une vingtaine de voitures brûlées). En 2014, il y eut également des incidents après la qualification de l’équipe d’Algérie. Rien n’excuse ces violences mais certains ont fait remarquer qu’il faut les ramener à leur juste proportion par rapport au nombre de la population concernée. Rappelons aussi que lors du match Bastia – OM, cette année en Ligue 1, des dizaines policiers ont été blessés, sans qu’on s’interroge sur l’intégration, etc.
Je maintiens donc qu’il y a un traitement médiatique particulier pour les Français d’origine maghrébine, lié à l’histoire de la colonisation et de la décolonisation, à la survivance du phénomène Dupont LaJoie, et, pour certains, à l’importation du conflit du Proche-Orient en France.