04.11.2024
Le passé de la Russie est imprévisible, 3 questions à Andrei Gratchev
Édito
15 octobre 2014
Dans Le passé de la Russie est imprévisible qu’il vient de publier aux éditions Alma, Gratchev nous offre un livre où les souvenirs personnels de la vie au temps de l’URSS pré-gorbatchévienne, puis de la Perestroika, s’entremêle avec les réflexions politiques et stratégiques aussi bien historiques qu’actuelles. Un pur régal pour le lecteur.
1/ Vous racontez une anecdote peu connue : votre premier travail auprès de Gorbatchev aura été de préparer une réponse à l’ayatollah Khomeiny qui lui suggère de convertir l’URSS à l’islam.
En effet. Quelque mois après son élection au poste du Secrétaire Général du Parti Communiste Gorbatchev a reçu une lettre personnelle de 5 pages de la part de l’Imam Khomeiny. Dans ce message, le guide suprême de la révolution iranienne, voyant apparemment en Gorbatchev un déçu de la doctrine idéologique officielle et donc un « transfuge » potentiel, développait des arguments en faveur de l’islam – « seule religion des valeurs véritables » capable de fournir les réponses aux multiples problèmes de la société soviétique. Pour démontrer le sérieux de ses intentions de convaincre Gorbatchev à choisir l’islam comme la nouvelle religion officielle pour la Russie soviétique, Khomeiny suggérait au nouveau chef du Kremlin d’envoyer dans la sainte ville de Koum une mission des experts en matières idéologiques et religieuses pour un stage de formation approfondie.
Ma tâche était donc de rédiger une réponse polie et respectueuse de Gorbatchev à l’ayatollah qui devait néanmoins lui signaler que « le communiste nouveau » qu’il était, n’était pas prêt à troquer aussi vite le drapeau rouge de la révolution bolchévique contre la couleur verte de l’islam.
Curieusement, quelques années plus tard, en lisant les mémoires des assistants de Ronald Reagan j’ai découvert que pratiquement en même temps que Khomeiny, le Président américain, ayant appris dans une conversation avec Gorbatchev que le petit Mikhail avait été baptisé par sa grande mère en cachette sans en informer ses parents, discutait sérieusement avec ses conseillers si par cette information Gorbatchev ne voulait pas envoyer un signal chiffré à l’attention des Américains leur déclarant son penchant pour la religion.
2/ Si Gorbatchev, comme Poutine actuellement avait bénéficié d’un baril à 100 dollars au lieu de 10, la Perestroïka aurait-elle réussi ?
Bien sur la réponse à cette question comme tout exercice de l’histoire hypothétique ne serait qu’une spéculation. Reste que Gorbatchev a en effet hérité de l’époque brejnevienne ce prix dérisoire du baril résultant des efforts de l’administration américaine qui a agi en accord avec les Saoudiens pour faire chuter le prix sur le marché mondial de cette source principale des recettes budgétaires de l’URSS. Si l’on se souvient de ce que la perte de soutien populaire au projet de la Perestroika et la chute de popularité personnelle de Gorbatchev étaient avant tout liées à l’aggravation des difficultés économiques du pays (en absence de l’aide sollicitée par Gorbatchev auprès des pays du G7) on peut bien accorder raison à cet argument.
3/ Selon vous, après le départ de Gorbatchev la Russie a perdu son dernier « occidentaliste » dans la ligne ouverte de Pierre Le Grand, s’efforçant de lier le développement russe à celui de l’Europe. Et l’Occident a perdu la possibilité d’arrimer la Russie à l’Europe.
Tout comme la plupart de membres de son entourage, le plus proche Gorbatchev était avant tout le représentant d’une génération des soi-disant « chestidesiatniks » – enfants politiques des années soixante et de la déstalinisation entamée par Khrouchtchev au XXeme congrès du PCUS. Or en même temps, ils se considéraient comme des héritiers du grand courant des réformateurs russes, dont en effet le tsar Pierre Le Grand, qui cherchaient à moderniser le pays en le rapprochant de l’Europe. Le projet de la Maison Commune Européenne si cher à Gorbatchev avait comme objectif non seulement la liquidation de la fracture du continent par de la suppression du « rideau de fer » mais aussi la « européanisation », surtout politique, de la société soviétique. En transformant ce pays en un Etat de droit, démocratique, pluraliste et moderne. Or cette « Maison Europe » finalement réunie et élargie vers l’Est grâce à l’effondrement du communisme en Russie, rendu possible par la Perestroika gorbatchevienne, a choisi de se construire en excluant la Russie et en la refoulant en dehors de la nouvelle Europe vers l’Asie et vers son propre passé – soviétique et impérial.