Incidents autour du match Serbie-Albanie : symptomatiques de la violence dans le football ?
A l’occasion des éliminatoires pour l’Euro 2016, la Serbie et l’Albanie se sont rencontrées à Belgrade mardi 14 octobre. Un drone a fait irruption sur le terrain, dévoilant un drapeau de la « Grande Albanie ». Après que les joueurs ont neutralisé le drapeau, des heurts violents ont éclaté sur le terrain, suivi d’un envahissement de la pelouse. Alors que les joueurs albanais quittaient le terrain sous les huées et les coups, le match fut finalement arrêté.
La gravité de ces incidents ne va-t-elle pas renforcer les arguments de ceux qui pensent et disent que le football c’est la guerre sur un terrain de sport ?
Certainement, mais cela ne devrait pas être le cas. La plupart des matchs à forte connotation géopolitique se déroulent globalement bien. Par exemple, récemment à l’occasion des Jeux asiatiques 2014, Corée du Nord et Corée du Sud, séparées par la frontière la plus hermétique au monde et par un contexte diplomatique très difficile, se sont rencontrées au tournoi de football masculin et féminin, sans provoquer le moindre dérapage. D’autre part, au cours des dernières années, des rencontres sportives entre pays des Balkans se sont également tenues dans le calme. Toutefois, il est vrai que ces derniers mois, plusieurs rencontres de football ont connu des dérapages. On a pu le voir en Egypte, pays en proie à des tensions civiles, qui ont conduit à des affrontements dans les tribunes du stade de Port Saïd en février 2012. En Italie aussi, la dernière finale de la Coupe d’Italie entre Naples et la Fiorentina a été marquée par des débordements violents des supporters. Le contexte actuel est peut-être particulier. Les turbulences géopolitiques provoquées par la crise ukrainienne ont peut-être des répercussions et les rhétoriques d’un retour de la realpolitik peuvent attiser les sentiments nationaux. Il y a quelques jours, la rencontre Roumanie-Hongrie a été marquée par des violences dans les tribunes entre supporters des deux pays, toujours en froid diplomatique alors que la Roumanie comprend une assez importante communauté hongroise. En même temps, il faut noter que le match Biélorussie-Ukraine de la semaine dernière a, quant à lui, été marqué par une solidarité des supporteurs des deux pays qui ont chanté ensemble leur opposition à Vladimir Poutine. Le foot, et plus globalement le sport, peut également marquer des rapprochements, mais il restera toujours le miroir de relations et sentiments préexistants.
Revenons au match Serbie-Albanie : quelles sont les responsabilités ?
Forcément, comme dans beaucoup de cas similaires, les responsabilités sont partagées. Sur les images TV, on voit que le drone est l’élément déclencheur (un joueur serbe arrache le drapeau albanais qui se posait sur la pelouse provoquant la réaction de quelques joueurs albanais) mais il faut, en premier lieu, revenir sur le rôle des autorités qui ont très mal conditionné ce qui devait être seulement une rencontre sportive. L’interdiction de déplacements des supporters albanais aurait dû être prononcée bien plus tôt, ce qui aurait limité les tensions avant le match. Surtout, compte tenu des risques sécuritaires qui étaient connus à l’entame du match, le dispositif sécuritaire aurait dû être beaucoup plus efficace. Les images montrent des hooligans envahir la pelouse ou venir facilement attaquer les joueurs albanais qui rentraient au vestiaire. Cela démontre la carence flagrante du dispositif sécuritaire qui s’est laissé déborder.
Le match aurait pu également se dérouler à huis clos. Certains matchs comme Espagne-Gibraltar ou Azerbaïdjan-Arménie, à hautes teneurs géopolitiques, ont même été évités lors du tirage au sort organisant la compétition.
Les images montrent également la haine exprimée par le public serbe, avec des chants guerriers qui ont couverts l’hymne albanais et l’épisode du drone, ainsi que les projectiles qui ont visé les joueurs, à leur retour aux vestiaires. Si de tels sentiments s’expriment encore à Belgrade, cela démontre que la fibre nationaliste serbe reste sensible. Alors que la réconciliation serbo-albanaise n’a jamais été entreprise depuis les guerres d’ex-Yougoslavie des années 1990, la quête d’indépendance et de reconnaissance du Kosovo limite d’autant plus les perspectives de rapprochement.
Quelles seront les conséquences ?
Tout d’abord, en ce qui concerne le fond politique, cet incident n’arrange rien. Alors qu’une visite – historique – du Premier ministre albanais à Belgrade – une première depuis 68 ans – était programmée la semaine prochaine, elle est désormais remise en cause. Il serait judicieux de réussir à retrouver ceux qui ont organisé l’arrivée du drone, l’étincelle d’une situation qui était explosive. Les sanctions administratives de l’UEFA seront annoncées le 23 octobre et pourraient donner une victoire sur tapis vert à la fédération albanaise. Les personnes qui ont préparé et piloté le drone auraient ainsi réussi en tout point ! Il n’empêche, les débordements sécuritaires lors de matchs en Serbie se sont multipliés ces dernières années. La fédération serbe doit donc être sévèrement sanctionnée, l’intégrité des joueurs albanais ayant été directement en danger mardi soir. L’UEFA doit également revoir sa stratégie et mieux anticiper ces rencontres à haut risque. A quelques jours de la visite officielle du Premier ministre albanais à Belgrade, ce match aurait pu avoir une valeur symbolique positive. Il n’en a pas été ainsi. Ce n’est pas la première fois qu’une rencontre sportive dégénère en crise politique, mais le sport en est plus victime que coupable.