ANALYSES

Bolivie : quels enseignements peut-on tirer de la réélection d’Evo Morales ?

Interview
15 octobre 2014
Le point de vue de Christophe Ventura

La réélection d’Evo Morales dès le premier tour est-elle véritablement une surprise ?


La réélection de Evo Morales dès le premier tour n’est pas une surprise : tous les sondages et enquêtes d’opinions lui donnaient une avance bien trop importante pour douter du résultat final. Bien que non définitif à cette heure car il faut attendre la fin du décompte par le tribunal suprême électoral qui interviendra ces jours-ci, ce résultat est en droite ligne avec les scores attendus. Ce qui est plus surprenant en revanche, c’est qu’Evo Morales l’ait également emporté dans des départements qui sont traditionnellement des fiefs de l’opposition et de la droite dure depuis sa première élection en 2006 : il est ainsi arrivé en tête dans 8 des 9 départements du pays (dont ceux de la Media Luna et notamment celui de Santa Cruz avec plus de 45% des voix contre 42 % pour son concurrent selon le décompte actuel). Seul le département de Beni lui a préféré Samuel Doria Medina. Enfin, même les scores de ses principaux concurrents – entre 25% et 28 % pour Samuel Doria Medina et entre 9% et 11% pour Jorge Quiroga selon les décomptes en cours – sont conformes aux fourchettes annoncées par les sondages.


Comment Evo Morales va-t-il pouvoir conforter les réformes sociales qu’il a mises en œuvre depuis 2006 ? Comment va-t-il réussir à diversifier l’économie nationale bolivienne alors que celle-ci est encore trop dépendante des exportations de gaz et minerais ?


En sus de sa troisième élection consécutive dès le premier tour, Evo Morales a également remporté une large victoire législative en obtenant d’ores et déjà une majorité absolue au Parlement, avec 82 députés sur 130 à l’Assemblée et 25 sénateurs sur 36 au Sénat. La seule question toujours en suspens est de savoir s’il conservera sa majorité des deux tiers – nécessaire pour toute modification de la Constitution – dans les deux Chambres. Pour le moment, un doute subsiste dans le cas de l’Assemblée. Avec 82 députés, le quorum n’est pas atteint. Là aussi, il va falloir attendre la fin du dépouillement, notamment dans les zones rurales et reculées du pays. Cette majorité législative va lui permettre de conforter l’orientation politique et le programme économique et social de ce gouvernement, c’est-à-dire l’application d’un modèle économique dit « extractiviste » qui, basé sur l’exploitation et l’exportation de matières premières, permet tout à la fois l’insertion de la Bolivie à la mondialisation et de garantir de substantielles rentrées financières dans les caisses de l’Etat. Ce modèle mise sur une importante redistribution des richesses vers les couches les plus fragiles de la population.
Evo Morales a remporté cette élection en promettant la poursuite des programmes sociaux entamés dès son premier mandat : depuis 2006, plus d’un million de Boliviens (soit 10% de la population du pays) sont sortis de la pauvreté tandis que le niveau de vie moyen augmentait et que le chômage diminuait. On peut donc présager qu’Evo Morales a des atouts pour réussir car il dispose des conditions politiques pour le faire et parce que la configuration des rapports de force politiques a évolué en sa faveur. Sa victoire dans des bastions tenus par la droite indique ainsi, en effet, une volonté des élites économiques de normaliser leurs relations avec le gouvernement et de trouver, de façon pragmatique, un mode de fonctionnement plus harmonieux avec lui et les institutions. Cette normalisation des relations va immanquablement contribuer à diminuer les tensions et à renforcer un peu plus le modèle de développement promu par le président Morales. Dans ce modèle, une partie des élites économiques et financières comprend qu’elle peut occuper une place.
Enfin, la question de la diversification de l’économie bolivienne sera centrale tout au long de ce troisième mandat. Il est cependant encore trop tôt pour répondre ou même émettre des hypothèses. Est-ce que la Bolivie en a aujourd’hui les moyens ? La réponse est non selon les autorités publiques. Est- ce qu’elle doit peu à peu trouver ces moyens ? La réponse est indubitablement oui. La Bolivie demeure encore une petite économie, même si cette dernière a quadruplé en volume depuis 2006 .


La réélection de Morales va-t-elle permettre à une Bolivie désormais pacifiée et stabilisée de normaliser ses relations, y compris territoriales, avec ses voisins ?


Le très ancien conflit maritime qui oppose la Bolivie au Chili depuis la guerre du Pacifique (1879-1883) est aujourd’hui l’objet d’un constant processus de dialogue compliqué entre les autorités des deux pays, alternant entre tensions et apaisements. La Cour internationale de Justice de La Haye a quant à elle été saisie l’année dernière par la Bolivie mais le Chili tente d’invalider cette démarche et de faire déclarer la CIJ incompétente sur le dossier. Il ne reconnaît pas son autorité et refuse d’intégrer la revendication bolivienne dans l’agenda des relations bilatérales entre les deux pays.
Les enjeux de cette dispute sont conséquents pour la Bolivie – le pays considère avoir perdu 400 kilomètres de côtes et 120 000 km2 de territoires – car elle pourrait récupérer un accès à la mer et ne plus être enclavée au cœur de l’Amérique du Sud, tout en obtenant un accès direct vers les marchés asiatiques. Ainsi, cet accès direct à la mer lui permettait de dynamiser sensiblement son développement économique.
Ce dialogue va se poursuivre, d’une manière ou d’une autre, d’autant plus que ces deux pays participent activement aux nouvelles dynamiques d’intégration régionale latino-américaine : UNASUR (Union des nations sud-américaines) et CELAC (Communauté d’Etats d’Amérique latine et de la Caraïbe) notamment. Ces structures constituent aujourd’hui l’écosystème géopolitique des deux pays. La Bolivie s’y implique beaucoup et bénéficie en retour d’une forte solidarité politique des autres gouvernements progressistes de la région (Brésil, Equateur, Uruguay, Venezuela). Cet environnement déterminant contribue lui aussi à la stabilité politique du pays.

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