ANALYSES

La Chine peu fière de son Prix Nobel

Presse
9 octobre 2010
Barthélémy Courmont - Global Brief

Ce n’est pas si souvent que la Chine obtient des distinctions aussi prestigieuses que le Prix Nobel. D’ici quelques années, les universités chinoises seront peut-être capables, à la manière de ce que font leurs consœurs américaines, d’aligner des scientifiques prestigieux et reconnus mondialement. Et d’ici là, des auteurs chinois se verront sans doute attribuer le Prix Nobel de littérature – des auteurs chinois vivant en Chine, il s’entend, Gao Xinjian, lauréat en 2000, étant expatrié en France, ou des économistes de talent. Mais en attendant, la Chine est un parent pauvre dans le palmarès des Prix Nobel. Dans ces conditions, on pourrait imaginer qu’un tel honneur attribué à un Chinois serait l’objet d’une immense fierté, savamment relayée par les pouvoirs publics et les médias, et dans la foulée des Jeux Olympiques de Pékin ou de l’Exposition universelle de Shanghai. Sans surprise, il n’en est rien. Pour une fois, la Chine n’est pas fière d’être ainsi médiatisée.


Le Prix Nobel de la Paix attribué à Liu Xiaobo, l’un des auteurs de la Charte 08, purgeant une peine de onze ans de prison depuis décembre dernier, est même totalement resté dans l’anonymat en Chine, souffrant d’une censure plus rigoureuse que jamais. On comprend évidemment pourquoi, Pékin n’ayant aucun intérêt à médiatiser ce type d’évènement, sinon pour le dénoncer avec force. Ma Zhaoxu, porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères, a même déclaré que « l’attribution du prix de la paix par le comité à cette personne contredit totalement ses objectifs et constitue une obscénité contre le prix de la paix », rappelant au passage que ce Prix a vocation à être décerné à des acteurs de la paix dans le monde, de l’amitié entre les peuples et du désarmement. Le régime chinois profite même de ce prix pour dénoncer l’arrogance de l’Occident et le manque de respect qu’il manifeste à l’égard du peuple chinois, instrumentalisant une nouvelle fois un nationalisme de plus en plus marqué dans ce pays. Parallèlement à ces critiques très vives, associés à des menaces pesant sur le gouvernement norvégien, Pékin s’est donc empressé de censurer la nouvelle.


On pourrait évidemment se demander, puisque les Chinois semblent l’ignorer dans leur majorité, à quoi sert l’attribution du Prix à Liu Xiaobo. Peu de Chinois savent quel est son combat (et peu savent même qui il est), et s’il est célèbre dans le monde entier, sa renommée est très limitée en Chine. Ce serait cependant se tromper sur la force de ce trophée, ainsi que sur l’emprunte qu’il laisse. Liu ne va pas sortir de prison grâce à cet honneur, c’est une certitude, et la Chine ne va pas non plus revenir subitement sur la Charte 08, qu’elle a vivement rejetée. Mais on se souvient que si la dissidente birmane Aung San Suu Kyi, lauréate en 1991, est toujours en résidence surveillée par la junte au pouvoir, son Prix Nobel a été un formidable appel à la mobilisation autour des maux qui frappent le Myanmar. De même, si la censure est forte en Chine, la nouvelle du prix Nobel décerné à Liu Xiaobo est quand même diffusée, par le biais de l’accès à Internet (après tout, les sites d’information ne sont pas censurés, comme le sont systématiquement ceux qui sont identifiés par Pékin comme nuisibles). S’ils le souhaitent, les Chinois pourront donc savoir qui est le lauréat du Prix Nobel de la Paix cette année, et ils feront la part des choses, même avec le peu de moyens mis à leur disposition pour ce faire.


Le message des signataires de la Charte 08 n’était pas un pamphlet dirigé contre Pékin, mais une invitation à accélérer les réformes entreprises depuis les années 1970 en les étendant aux domaines des droits de l’homme et de la démocratie, afin d’assumer le statut de puissance mondiale. Des arguments que la Chine devra forcément, tôt ou tard, prendre en considération, même s’il est inconcevable qu’elle cède aux pressions internationales à courte échéance. Mais reste à savoir quelles leçons Pékin saura en tirer dans la durée.

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