L’UE risque plus un éclatement politique qu’économique
Fabio Liberti, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), chargé des questions européennes, estime que "la crise de la zone euro entraîne en effet une banalisation de l’antieuropéanisme", qui "fragilise l’Union européenne sur la scène internationale".
De manière générale, tous les Etats européens ont intérêt à résoudre cette crise économique, mais ils doivent compter avec leurs propres enjeux de politique intérieure. Par exemple, l’Allemagne, qui joue un rôle majeur dans la résolution de la crise, est tiraillée entre des réalités économiques et des pressions politiques.
D’un côté, elle a tout intérêt à sauver l’Irlande, et peut-être bientôt le Portugal, car ses banques y sont très exposées : elle a transformé une partie de son excédent budgétaire commercial en créances dans ces pays. Sa bonne santé économique est donc très liée à celle de la zone euro et à une monnaie forte. D’un autre côté, les Allemands deviennent antieuropéens. L’opinion publique n’est pas favorable à une aide à l’Irlande car elle a l’impression de payer pour les mauvaises pratiques et le laxisme d’autres pays. C’est elle qui avait retardé la mise en place d’un plan d’aide à la Grèce. Au final, il s’est révelé bien plus important que prévu pour parvenir à rassurer les marchés financiers car l’Europe a trop tardé à agir.
L’Irlande, elle, a basé toute son économie sur une fiscalité très basse qui lui a permis d’attirer des capitaux étrangers. Elle rechigne donc à accepter les aides européennes qui vont l’obliger à relever ses taxes et impôts pour parvenir à une harmonisation fiscale. Elle est par ailleurs très attachée à sa souveraineté nationale.
Jusqu’à présent, l’Europe était régie par le moteur franco-allemand. Depuis la crise économique, et encore plus avec les turbulences que traverse la zone euro, on entre dans une configuration différente, avec une claire émergence de l’Allemagne comme principale puissance de l’Union européenne. C’est elle qui fait pression sur ses partenaires européens pour qu’ils adoptent des plans de contraction budgétaire. Au G20, c’est aussi à la chancelière allemande, Angela Merkel, que le président américain, Barack Obama, s’est adressé pour appeler les pays européens à régler la crise irlandaise.
Malgré tout, cette montée en puissance de l’Allemagne se fait un peu par défaut, essentiellement en raison de son poids économique. Berlin n’est pas encore à l’aise avec ce leadership européen, notamment du fait de son passé, et n’assume pas véritablement l’idée d’une Europe dirigée par l’Allemagne.
Si le risque d’un éclatement économique de l’Union européenne n’est pas réel, le risque politique existe par contre à moyen terme. La crise de la zone euro a en effet entraîné une banalisation de l’antieuropéanisme et a favorisé la montée des populismes et de la démagogie. On l’observe dans la montée des partis conservateurs ou d’extrême droite, qui imputent à l’Europe les problèmes que rencontrent leurs pays, comme aux Pays-Bas, en Hongrie, en Suède ou même en Italie.
A court terme, le risque de cette crise est la fragilisation de l’Union européenne, débouchant sur un manque de visibilité et de crédibilité sur la scène internationale. Cette situation accentue ainsi la domination des Etats-Unis et de la Chine dans les relations internationales.
Il faudrait augmenter le poids de l’Union européenne dans la gestion des budgets nationaux, par exemple par le biais d’un ministre de l’économie européen. Car, aujourd’hui, on a une monnaie unique, mais pas de politique économique convergente. La zone euro doit se donner un instrument pour relancer sa croissance interne. Elle doit parler d’une seule voix pour faire de nouveau jeu égal avec les Etats-Unis et la Chine.
Pour cela, les dirigeants européens doivent avoir le courage d’expliquer à leurs citoyens la nécessité d’une entraide européenne. La création d’un fonds de sauvegarde européen est un premier pas. On pourrait aussi envisager la transformation d’une partie des dettes nationales en une dette européenne, dont les taux d’intérêt seraient abaissés.