Un coup de semonce nord-coréen envers Obama et le Sud
Comme d’habitude avec Pyongyang, on touche à l’imprédictible et à l’irrationnel. Même si elle peut apparaître comme une mauvaise surprise, cette attaque est néanmoins conforme à la logique nord-coréenne qui fait que les dossiers sont toujours traités par la force et avec un agenda propre. Cette fois, on peut penser que la Corée du Nord avait quatre arrière-pensées pour tirer ces obus sur Yeonpyeong.
Tout d’abord, il s’agit d’un coup de semonce. Depuis lundi, les Etats-Unis et la Corée du Sud mènent leurs exercices annuels interarmes avec plus de 70.000 soldats dans le secteur. Cela n’a évidemment rien de nouveau. Mais la Corée du Nord les critique depuis toujours car elle affirme qu’il s’agit d’un prélude à une nouvelle attaque contre son territoire. Depuis plusieurs semaines, elle avait prévenu qu’elle réagirait au moment de ces manœuvres, qui lui ont donc servi de prétexte pour son attaque.
Ensuite, la Corée du Nord insiste depuis deux ou trois mois pour que les négociations à six (ndlr : Corée du Nord, Corée du Sud, Etats-Unis, Chine, Japon, Russie) sur son programme nucléaire reprennent. Mais la Corée du Sud, les Etats-Unis, et à un degré moindre le Japon, exigent comme préalable que la Corée du Nord présente ses excuses pour le torpillage de la corvette sud-coréenne au printemps dernier. Pyongyang, qui affirme qu’il n’a rien à avoir avec l’incident, refuse. Ce problème des discussions à six l’énerve et font monter sa frustration. Frustration exprimée ce mardi avec ces tirs d’artillerie.
Troisième point : la Corée du Nord n’arrive pas à comprendre pourquoi, même sous l’administration de Barack Obama, son dossier n’est pas la priorité des Etats-Unis face à l’Irak, l’Afghanistan ou le Pakistan. Le raisonnement des Nord-coréens est le suivant : "nous sommes une puissance nucléaire, nous effrayons tout le monde, nous sommes menaçants et pourtant nous ne sommes pas pris au sérieux. Que devons-nous faire pour être la priorité américaine ?". Cela crée incompréhension, vexation et frustration.
Enfin, il ne faut pas oublier la dimension de politique intérieure propre à la Corée du Nord. Le pays est engagé depuis peu dans un nouveau chapitre de son histoire avec le lancement du processus de succession officielle entre Kim Jong-il et son fils Kim Jong-un. Avec cette attaque, il s’agit de montrer qu’il n’y a pas de vacance du pouvoir et que le régime est toujours capable de tenir, à l’intérieur, le politique et le militaire et, à l’extérieur, de défier à la fois le Sud et les Etats-Unis.
Kim Jong-un est là uniquement pour épater la galerie dans l’optique de la succession de son père. Malgré son nouveau rang de général, il n’a aucune autorité ni aucune expérience. Il sert surtout soit à rassurer soit à effrayer le peuple. Tant que son père sera là, il ne prendra aucune décision importante. Cette attaque a donc probablement été validée par Kim Jong-il lui-même dans un cadre collégial avec, d’une part, les militaires et, d’autre part, la direction du parti communiste au pouvoir.
Ce méchant coup de semonce aura été reçu cinq sur cinq dans toutes les capitales concernées. Cette expression de colère devrait aboutir à un léger changement d’attitude, plus souple, en coulisses avec les Nord-coréens. Pour son opinion publique, Séoul va en effet rejeter la faute sur Pyongyang. Mais elle n’ira pas plus loin s’il n’y a pas d’autres tirs. Idem pour les Etats-Unis avec leur condamnation. De son côté, la Chine, pour qui cette attaque est une mauvaise nouvelle puisqu’elle prouve qu’elle a dû mal à canaliser son allié, va peser pour éviter l’escalade. Elle devrait proposer qu’il y ait enfin un début d’engagement américain pour des discussions bilatérales, ou au moins multilatérales, dans le cadre des négociations à six.
Oui. La Corée du Nord a su s’arranger pour que le bilan humain et les dégâts soient limités. Même s’il y a des victimes, l’incident n’a pas grand-chose à voir avec celui de la corvette. Ce n’est pas donc suffisant pour une intervention américaine et sud-coréenne ni pour un changement de la stratégie de soutien de la Chine. Le régime de Pyongyang a donc bien joué le jeu pour ne laisser aucune ouverture à une sur-réaction. Et il en récoltera les dividendes en coulisses.