ANALYSES

La Chine est persuadée que son modèle fonctionnera toujours

Presse
10 décembre 2010
Jean-Vincent Brisset - France24.com

Des médias censurés, des militants des droits de l’homme surveillés, une campagne diplomatique intense pour convaincre les Etats étrangers de ne pas participer à la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix au dissident Liu Xiaobo… Outrée par l’attribution de ce prix à celui qui est considéré en Chine comme un criminel, Pékin n’a pas lésiné sur les moyens pour minimiser l’impact du Nobel.

Pour Jean-Vincent Brisset, directeur de recherches à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Chine, cette attitude s’explique avant tout par "l’arrogance" de Pékin.


Une vingtaine d’Etats n’assistent pas à la remise du Nobel de la paix à Liu Xiaobo. Est-ce un succès pour la Chine ?

Pour la politique intérieure chinoise, oui, ce sera bénéfique. Les autorités vont dire que 20 pays ont osé braver le fascisme du comité du Nobel ; que seulement 50 Etats, sur les 193 pays de la planète, soutiennent ce prix. A chaque fois qu’un régime très autoritaire est en difficultés, il joue la carte du nationalisme. Ca marche beaucoup mieux qu’on ne le pense en Chine.

En réalité, seuls les quelque 70 Etats qui ont une ambassade en Norvège étaient invités. Et surtout, il faut voir la liste des 19 pays qui ne viennent pas : ils ne sont pas connus pour leur respect des droits de l’homme. Avec cette affaire, un certain nombre de gens vont comprendre un peu mieux ce qu’est la Chine, mais cela ne va pas changer grand-chose.


Est-ce avant tout pour des raisons économiques qu’une vingtaine de pays ont refusé de venir ?

Pour la Russie, ce n’est pas vraiment les relations économiques qui sont en jeu. Elle est absente de la cérémonie par solidarité avec Pékin sur la question de l’ingérence. La position de la Chine est de dire que Liu Xiaobo est un criminel selon la loi, et qu’elle ne comprend pas pourquoi il est distingué par le Nobel. La Russie dénonce donc avant tout une conception de l’ingérence étrangère.

Pour les autres Etats, il faudrait voir au cas par cas. Si certains étaient en cours de négociation pour un contrat un peu pointu, ils ont pu être tentés de ne pas assister à la cérémonie.


Pékin a averti que les Etats qui assisteraient à la cérémonie en subiraient les "conséquences". Y aura-t-il effectivement des répercussions pour ces pays ?

Pékin va gérer cela au coup par coup. Pour les Etats-Unis, il n’y aura aucune conséquence directe. Mais pour les pays plus faibles qui ont tendance à plier devant la Chine, comme la France, les conséquences vont être plus lourdes. Paris n’a jamais eu de politique suivie à l’égard de Pékin. Il y a eu une période de rodomontades du temps de François Mitterrand ou de Valéry Giscard d’Estaing, puis une période de gentillesse avec Jacques Chirac. Maintenant, avec Nicolas Sarkozy, c’est une fois oui, une fois non, ce qui est presque pire que la faiblesse acceptée de la période Chirac.

La Chine prend prétexte de cette faiblesse pour faire du chantage quand elle en a besoin, pour négocier des contrats plus juteux, provoquer des divisions au sein de l’Europe… Les relations bilatérales sont plus compliquées. Aujourd’hui, il est par exemple plus difficile pour un Français d’obtenir un visa pour la Chine que pour un Anglais ou un Américain.


Comment expliquer que la Chine soit allée aussi loin dans cette campagne de dénigrement du Nobel ?

C’est une question d’arrogance. La Chine est persuadée que son modèle va fonctionner partout et tout le temps. De l’extérieur, quand on ne connaît pas très bien ce pays, on peut être surpris par cette attitude. Mais la Chine pense vraiment qu’elle est le plus grand pays du monde et que tout va bien.

Cette attitude chinoise n’est donc pas prêt de changer. Sa force économique lui permet de faire taire ou de calmer certaines ardeurs. En Europe, par exemple, les positions sont très variées, entre ceux qui ont des intérêts économiques très importants avec Pékin et ceux qui en ont moins. La seule chose que l’on peut noter, c’est que la Chine manifeste depuis un an une certaine faiblesse envers les Etats-Unis. Lorsque la Corée du Nord a bombardé la Corée du Sud par exemple, l’envoyé spécial de Barack Obama a pointé la responsabilité de la Chine, en affirmant qu’elle ne faisait pas son boulot. Pékin n’a réagi que très mollement. Personne n’explique cette faiblesse à l’égard des Américains pour l’instant.

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