Burkina Faso: « Un coup d’Etat militaire n’est pas exclu »
La contestation au Burkina Faso, qui a repris ce mardi dans le Nord, semble assez disparate. Pour Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, la crise se joue en premier lieu au sein des milieux étudiant et militaire.
Le Burkina Faso n’est généralement pas un pays caractérisé par des mouvements de violence. Mais cette crise a d’abord été déclenchée par une étincelle venue du milieu étudiant. Le 20 février, un jeune Burkinabé, Justin Zongo, décède dans des circonstances assez troubles. Cela fait penser à l’immolation du jeune martyr tunisien Mohamed Bouazizi, qui a donné naissance à la vague de contestation que l’on sait, et la chute du régime Ben Ali.
On retrouve par ailleurs tous les facteurs économiques qui ont conduit aux révolutions arabes: abence de perspectives pour les jeunes, chômage de masse, pas encore de transition démographique, des prix alimentaires qui flambent, et une ouverture sur le reste l’Afrique via le réseau Internet, si faible soit-il. Les récents mouvements de violence ont sans doute été initiés sur le modèle de ceux intervenus en Afrique septentrionale.
En revanche, le Burkina Faso a également sa propre lecture de la crise. Le pays subit les effets des troubles en Côte d’Ivoire, avec le retour des migrants partis chercher du travail dans ce pays voisin. Cette importante main d’oeuvre a fui les combats, et se retrouve sans revenus au Burkina Faso. La crise libyenne a aussi entraîné le retour au pays des travailleurs burkinabés. A la marge, le soutien de Compaoré à Kadhafi peut aussi expliquer la crise actuelle.
A mon sens, les deux principaux mouvements à suivre actuellement sont celui des étudiants, et celui des militaires. Les premiers manifestent pour dénoncer la mort de l’un des leurs (voir ci-dessus), et les seconds ont manifesté fin mars contre la condamnation de quatre camarades, aujourd’hui libérés. [Depuis, ils manifestent surtout pour des problèmes de hiérarchie et de conditions de vie, ndlr]. Selon moi, les autres mouvements, comme celui des commerçants [ainsi que celui des magistrats et des détenus, ndlr] semblent peu convaincants. Et la révolte de la garde présidentielle est encore trop surprenante pour être bien analysée.
Il est vrai que ces deux principaux mouvements semblent corporatistes et divisés. Mais il n’est pas impossible que les deux s’unissent, certes a minima, car in fine, c’est la légitimité du pouvoir qui est contesté dans les deux camps. Pour qu’ils se coordonnent, il faudrait que l’armée soit dépassée par un mouvement étudiant prenant de plus en plus d’ampleur. L’armée laisserait ensuite volontairement grandir la contestation, et pourrait à terme la récupérer. Le régime serait là réellement menacé.
Un coup d’Etat militaire, avec à sa tête un jeune capitaine, n’est pas à exclure, le pays en déjà connu [Thomas Sankara en 1983 et Blaise Compaoré lui-même en 1987, ndlr]. En comparaison, on observe qu’en Egypte, le pouvoir militaire a repris la main après la contestation populaire. Un autre cas de figure peut aussi émerger: comme au Niger, le pouvoir peut être confisqué momentanément par l’armée, pour ensuite être redonné à la population civile.
Toutefois, d’autres scénarios sont possibles. L’armée [contentée par le pouvoir par la révocation du chef d’Etat-major, et le versement de primes de logements et alimentaire, ndlr], pourrait décider de réprimer les mouvements contestataires, et empêcher toute transition du pouvoir. Ou alors, comme il l’a fait pour l’armée, le président Compaoré, usé et toujours entâché par l’assassinat de son prédécesseur Thomas Sankara, pourrait répondre aux revendications matérielles des différents groupes [comme la lutte contre la cherté de la vie ou le respect des franchises scolaires, ndlr], et ainsi calmer la crise.
En revanche, envisager un assouplissement politique du régime n’est pas concevable dans la mesure où Blaise Compaoré est en train de modifier l’article 37 de la Constitution, qui lui permettrait de faire plus de deux mandats à la tête du pays.