ANALYSES

Faut-il tondre Simone Gbagbo?

Presse
20 avril 2011
Bastien Nivet - Libération

Un homme en maillot de corps, regard hagard et triste, visage marqué par la fatigue. Une femme échevelée, les yeux irrigués de sang, perdue face à une sorte de fin du monde, à la fin de son monde. Tous deux sont assis sur un rebord de lit, entourés d’un attelage hétéroclite de personnes debout. Ils sont ainsi précaires, surplombés et encadrés, tels des criminels, ou des enfants ayant commis une grosse bêtise, on ne sait plus trop. L’important est de montrer en image ce qu’est la déchéance en politique. D’illustrer une chute finale. Et pour cela d’exhiber des corps, des regards. Ne pas se contenter de retracer et d’analyser le délitement d’une carrière entamée comme espoir du renouvellement des élites en Côte-d’Ivoire, et terminée par un refus de jouer jusqu’au bout le jeu d’élections démocratiques.


Informer sur du politique par du contenu politique ne saurait suffire. Serait-ce trop ennuyeux ? Pas assez convaincant ? On ne sait pas. Mais en tout cas il faut aller plus loin, donner à voir le pathétique des acteurs eux-mêmes, et pas seulement de leur attitude politique. Montrer que c’en est fini de leur grandeur, de leur pouvoir. Que ces personnages ne méritaient décidément pas la place qu’ils occupaient encore quelques instants auparavant. Des êtres dont il faut à la fois légitimer et savourer la déchéance en diffusant en boucle une image aussi abaissante et humiliante que possible. Des êtres déshumanisés, comme l’avaient été les corps gisant au sol des époux Ceausescu en 1989. Comme Saddam Hussein sortant de son trou tel un rat, tête hirsute et chemise sale. Comme le colonel Kadhafi le jour où…


Des êtres que leur condamnation politique et morale unanime, instantanée et sans jugement, prive de tout respect moral dans leur traitement médiatique. Ces images du couple Gbagbo, comme auparavant d’autres leaders déchus autrement plus dangereux, fous et redoutables, n’ont pas seulement de choquant une absence de pudeur et de respect de la personne humaine. Elles le sont car elles viennent illustrer des articles prônant l’exact contraire de ce qu’elles font. On ne devrait pas, en 2011, évoquer des espoirs d’alternance politique en se livrant à une cérémonie expiatoire médiatique. On ne livre pas, de Paris, des leçons de morale condescendantes sur la façon dont aurait dû se comporter un leader, en les appuyant par ce type d’exutoire moyenâgeux.


De grands avocats nous ont appris depuis longtemps qu’offrir la possibilité d’une défense et d’un minimum de dignité à tout être humain, est ce qui distinguait la justice des hommes de la loi de la nature. Des leaders comme Nelson Mandela ont su montrer à leur propre camp qu’en politique, la réconciliation passe par le respect du perdant, du vaincu, de l’ancien dominant ou même du bourreau. Il n’en va malheureusement pas de même du tribunal médiatique quotidien qui, au nom d’un sentiment dominant de condamnation sans jugement des leaders déchus, s’émancipe de toute pudeur.

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