Elections espagnoles : « Le vote sanction aurait de toute façon eu lieu »
Un "tsunami". Voilà comment la presse espagnole a qualifié la très lourde défaite, dimanche 22 mai, des socialistes au pouvoir aux élections municipales et régionales en Espagne. Si le mouvement de contestation sociale, qui touche le pays depuis le 15 mai, rassemblant des milliers d’Espagnols dans plus d’une centaine de villes, n’a pas eu de réel impact sur les résultats du scrutin, il était néanmoins un signe annonciateur de ce cuisant échec du gouvernement en révélant le malaise de la société, assure Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur spécialiste de l’Espagne à l’Institut de relations internationales et stratégiques.
La défaite des socialistes du PSOE n’a pas du tout été une surprise. Depuis plusieurs mois, les sondages montraient un avantage indéniable des conservateurs du Parti populaire (PP), avec un écart qui se creusait entre les deux principaux partis. La seule part d’incertitude résidait sur les conséquences concrètes de cette percée du PP dans chacune des treize régions qui désignaient leurs parlements et des 8 000 communes qui élisaient leurs maires et leurs conseils municipaux. Au final, avec un score de 37 % aux municipales, soit neuf points (28 %) de plus que le PSOE, le PP a raflé de nombreuses villes détenues depuis des années par les socialistes comme Barcelone ou Séville, en conformité avec les sondages.
Le vote de dimanche était un vote sanction du gouvernement sortant, avec un enjeu national et non local. Les électeurs ont sanctionné en particulier les mesures d’austérité mises en place après la crise économique, qui ont débouché sur une crise sociale sans précédent, avec des salaires et des pensions en baisse, et un chômage galopant, le plus fort de l’Union européenne. Aujourd’hui, l’Espagne compte ainsi 21 % de chômeurs, dont près de la moitié de jeunes, contre 8 % en 2007.
Le gouvernement actuel n’apparaît plus comme pouvant résoudre cette crise aux yeux des Espagnols. Il a perdu sa crédibilité vis-à-vis des électeurs, qui ne lui font plus confiance, d’autant qu’il a mis du temps à admettre que le pays traversait une crise sans précédent. En 2008, pour assurer sa réélection, le premier ministre, José Luis Rodriguez Zapatero, affirmait que l’Espagne ne serait pas touchée, grâce à des bases économiques solides, qu’elle avait doublé l’Italie en matière de PIB et s’apprêtait à rejoindre le peloton de tête formé par la France et l’Allemagne. Il n’a reconnu que récemment que le pays traversait effectivement une crise, tout en assurant qu’elle serait bientôt terminée. Le PSOE a aussi adopté, il y a peu, un discours plus social, pour promettre de défendre les acquis sociaux des salariés. Mais ces promesses sont arrivées trop tard pour être crédibles : le décrochage des électeurs avait déjà eu lieu.
Les Espagnols ont manifesté leur rejet du gouvernement et non une réelle adhésion à l’opposition. Le PSOE a pâti d’une défection de ses troupes. Par exemple, les élus locaux n’ont pas souhaité que José Luis Rodriguez Zapatero vienne les soutenir dans leurs collectivités, préférant qu’il prenne du recul. A contrario, le PP a bénéficié d’un surcroît de mobilisation de ses électeurs, mais sans pour autant provoquer une hausse de la cote de popularité de son leader, Mariano Rajoy.
Le mouvement du 15-Mai n’a pas eu de réelle conséquence sur les résultats du scrutin car il s’agit moins d’un élément nouveau que de l’expression physique d’un mécontentement qui touche l’Espagne depuis longtemps sans s’être jamais exprimé. Le vote sanction aurait de toute façon eu lieu, au regard du malaise qui touche le pays.
Par contre, le 15-Mai a fait augmenter les votes blancs et nuls, qui atteignent plus de 4 %. Les Espagnols qui campent sur les places des grandes villes, sociologiquement plus proches de la gauche, ont en effet refusé de voter pour le gouvernement sans néanmoins appeler à voter pour la droite.
Ces élections locales donnent un aperçu des résultats des élections générales de 2012, qui verront l’élection d’un nouveau gouvernement. Le parti populaire va essayer de profiter de son succès pour rassembler davantage d’électeurs en vue du prochain scrutin. Il doit aussi tenter de calmer les éléments les plus extrémistes en son sein et privilégier le centre-droit.
Quant au PSOE, son défi est de trouver un nouveau leader, José Luis Rodriguez Zapatero ayant annoncé qu’il se retirait. Si le parti se relève de la débâcle de ce week-end, il devrait organiser un processus de primaire, qui pourrait opposer deux figures socialistes : Alfredo Perez Rubalcaba, premier vice-président du gouvernement, et Carme Chacon, ministre de la défense. Mais quel que soit leur leader, les socialistes devront replacer le social au centre de leurs priorités, malgré le calendrier très serré dont ils disposent.
Les partis de la troisième voie, comme Bildu dans le pays basque, ou l’UPD à Madrid, sortis renforcés par le scrutin, vont aussi tenter de percer l’an prochain.
Certains souhaitent l’organiser en mouvement politique pour se positionner sur l’échiquier institutionnel, passer de la réaction émotionnelle à quelque chose de plus rationnel, sans pour autant devenir un parti, dont ils réfutent la légitimité. Mais sa structuration risque d’être délicate tant il s’agit d’un mouvement de type soixante-huitard, assembléiste, informel et assez spontané. Le mouvement peut donc aussi s’essouffler même si le malaise perdure jusqu’en 2012.