« La probabilité d’un autre attentat de l’ampleur du 11-Septembre paraît très faible »
François-Bernard Huyghe est chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques. Pour lui, le terrorisme est à la fin d’un cycle et il pense que les risques d’attentats pour les Américains et les Européens sont faibles. En revanche, il s’inquiète du phénomène du «loup solitaire» qui agit seul, comme pour la tuerie d’Oslo en juillet.
L’attentat du 11-Septembre est d’abord à la source indirecte de deux guerres – l’Irak et l’Afghanistan – qui ont fait jusqu’à 250 000 morts selon certaines estimations. Que les États-Unis aient déclaré "la guerre au terrorisme", c’est déjà en soi énorme : l’hyperpuissance déclare la guerre à un acteur privé. En 2001, les États-Unis ressentent une humiliation pire que Pearl Harbor et cela radicalise la géopolitique américaine pour des années suivant le principe de Bush : "Avec nous ou contre nous". » Les États-Unis s’obsèdent sur la question arabo-musulmane. Tout s’est passé comme si, en pleine "mondialisation heureuse", ils redécouvraient que le mal existait et qu’ils avaient des ennemis…
Il faut distinguer ce qui se passe aux États-Unis de l’Europe qui n’a pas subi le même traumatisme. La probabilité d’un attentat de l’ampleur du 11-Septembre paraît très faible. Très peu d’Occidentaux sont morts du terrorisme au cours de la décennie. Je n’oublie pas les horribles attentats de Londres et Madrid, les prises d’otages… Mais globalement, les populations européennes réagissent avec un certain calme. En Angleterre, deux jours après l’attentat, les Londoniens allaient au boulot…
Il y a eu un excès dans les législations ; la France n’étant pas le pire cas. Aux États-Unis, en revanche, le Patriot Act a suscité de fortes réactions. Il y a eu les scandales des écoutes illicites, Guantanamo qu’Obama n’a finalement pas fermé… On sait pourtant – toute question de morale mise à part – que les maladresses de la répression contre le terrorisme produisent plus d’ennemis qu’elles n’en éliminent. Voir la lutte de la France contre le FLN pendant la guerre en Algérie.
Les révolutions arabes montrent qu’Al-Qaïda n’est pas la seule alternative aux dictatures pro-occidentales. Dans son dernier message, diffusé après sa mort, Ben Laden disait soutenir le printemps arabe : une période d’instabilité est toujours féconde pour un groupe violent. Les extrémistes comptent peut-être sur la déception des populations qui ne verront guère avancer les processus démocratiques. Mais, oui, c’est la fin d’un cycle. On verra encore des actions d’Aqmi, d’Al-Qaïda pour la Péninsule arabe, des chebabs, des talibans… elles tueront beaucoup de musulmans. Mais les risques pour les Américains et les Européens sont faibles. Ce qui m’inquiète davantage, c’est le phénomène du loup solitaire qui se radicalise dans son coin et prépare son attentat sans relation avec l’organisation "mère", à l’image de ce qui s’est passé en Norvège : un homme tout seul qui prépare son coup pendant deux ans et réussit à tuer 80 personnes… Imaginez un Breivik jihadiste !
Les institutions de régulation n’ont pas montré leur efficacité et nul ne doute que d’autres crises nous attendent. C’est le moment où réapparaît une logique de puissance. La Chine a besoin de matières premières, le conflit Inde-Pakistan refait surface… L’énergie, le territoire, les matières premières, les conflits de souveraineté, les frontières… Ce sont les fondamentaux de la géopolitique qui reviennent et que nous avons peut-être un peu oubliés au cours de la décennie de l’ennemi unique.